Chaque fois qu'il y a une vaste couverture, dans les médias, d'un cas d'enfant tué par un parent, les psychiatres de Sainte-Justine, ceux qui suivent des femmes enceintes ou qui viennent d'accoucher parce qu'elles ont de la difficulté à vivre leur maternité, observent le même phénomène. Un nombre significatif de ces femmes en questionnement commencent à s'inquiéter d'elles-mêmes et à le dire à leur psy. «Et moi, docteur, se demandent-elles, et moi, pensez-vous que je pourrais faire une chose pareille?»

De telles interrogations, le psychiatre Martin Saint-André en a entendu souvent.

Chaque cas de filicide le moindrement médiatisé - comme l'affaire toute récente d'Adèle Sorella à Laval ou la tragique histoire de Louise Desnoyers qui a noyé son fils de 8 ans dans le lac Champlain -, cette crainte des mères déjà fragiles s'observe.

 

Ce qu'elles décrivent, le médecin appelle cela de la phobie d'impulsion. La peur d'être toxique. «Ces femmes nous expliquent qu'elles craignent de faire une psychose.»

Autant faire un geste irréparable à l'endroit de son enfant est une chose rarissime, autant la peur de faire du mal à son enfant, sans être répandue, n'a rien d'insolite.

Jusqu'à 15% des femmes qui viennent d'accoucher font une dépression post-partum ou postnatale. Chez ces femmes, la moitié ont des pensées obsédantes. Crainte d'échapper l'enfant, de l'oublier, de le brûler, de lui faire mal, de ne pas être capable de s'en occuper au point de mettre sa vie en danger.

Sauf que justement, tout cela n'est que crainte. C'est de la peur. De l'anxiété. Des sentiments qui créent beaucoup de culpabilité.

Mais ce n'est pas la réalité.

Pour qu'un parent, qu'une mère telle Médée passe à l'acte, une foule d'autres facteurs doivent se conjuguer pour créer une situation extrême, facteurs qui vont de la présence d'une maladie mentale grave - de type psychose par exemple - à l'isolement extrême, en passant par l'historique familial, les traumatismes passés jamais ou mal résolus, la présence de violence ou de troubles conjugaux, de drogue ou d'alcool et j'en passe.

Cela dit, aussi inaccoutumées soient-elles, ces tragédies nous touchent tous et nous ramènent à nos propres angoisses.

Alors pendant que la société entière se demande comment une telle chose peut être possible, pendant que les psychologues, travailleurs et psychiatres s'interrogent sur les signaux d'alarme qu'ils auraient voulu voir, pendant que les parents compatissent avec les proches des victimes, pendant tout ça, secrètement, dans le fond d'elles-mêmes et d'eux-mêmes, certains parents se demandent ce qui les sépare de la folie meurtrière, s'inquiètent, se prennent la tête.

Augmentation du risque que d'autres tragédies se produisent? Augmentation du risque d'un effet copy cat propulsé par les médias?

Pas du tout, répond aussi Myriam Dubé, psychologue et chercheuse au Centre de recherche interdisciplinaire sur la violence familiale et la violence faite aux femmes de l'École de service social de l'Université de Montréal. Les cas extrêmes sont trop centrés sur eux-mêmes pour être à l'écoute de ce qui se passe ailleurs, explique-t-elle.

En fait, note-t-elle, ce qu'observe le psychiatre à Sainte-Justine montre plutôt que la discussion publique peut aider certains parents, certaines mères, à s'ouvrir. Car parler de ses frayeurs - de surcroît à un psy - est le début d'un processus de guérison.

Ce qu'il faut, c'est que les parents qui ont peur d'eux-mêmes se confient pour régler ce problème essentiellement d'anxiété. Qu'ils n'aient pas peur d'être jugés et soient prêts à accepter qu'il y a de l'aide et que cette aide est prête à les recevoir, tels quels.

Le Dr Saint-André n'a pas étudié en détail la présence sur le web d'un nombre impressionnant de blogues tenus par des mères en congé de maternité célébrant leurs imperfections - qui vont de Mère indigne en passant par Les (Z) imparfaites, Joa sur la 9e et Mamamiiia.com -, mais l'idée qu'un grand nombre de mères ventilent ainsi leurs sentiments pas toujours enthousiastes et positifs par rapport à la maternité lui semble à la fois intéressante et de bon augure.

Ce n'est pas suffisant, dit-il, pour répondre aux difficultés d'une mère en dépression post-partum, qui devrait être suivie médicalement. Mais ce n'est pas une mauvaise idée, souligne le médecin, d'apprendre à apprivoiser et à démystifier la culpabilité que l'on peut ressentir face à nos sentiments négatifs de parents.

«J'imagine qu'il y a quelque chose de salutaire là-dedans», dit-il au sujet de ces blogues. «Parce qu'on a droit à l'imperfection.»