Le pape est un personnage étrange.

Un jour, il profite de son voyage en Afrique pour lancer des messages inspirants contre le matérialisme et la corruption, pour la démocratie et le respect des droits de l'homme.

Le lendemain, ou la veille, il dit des choses choquantes contre l'utilisation du préservatif dans la lutte contre le sida en Afrique, un continent où on estime qu'il y a 33 millions de personnes infectées par le VIH. Vous savez ce que cela représente, 33 millions de personnes? C'est la population du Canada.

 

Le pape, donc, ne croit pas aux capotes. L'Église catholique dit même que les préservatifs aggravent l'épidémie en donnant aux gens un sentiment de fausse sécurité favorable à la promiscuité.

À la place, Benoît XVI propose une vision de la prévention qui est totalement utopiste: abstinence et fidélité, dit-il, sont les solutions. Ça et «une humanisation de la sexualité, un renouveau spirituel, humain, intérieur, qui permet ainsi de se comporter différemment avec les autres.»

Excellent programme.

Cette déconnexion totale de l'Église face à la réalité sur Terre, là où les gens s'envoient en l'air avec ou sans mariage, et donc se transmettent le sida, aujourd'hui, maintenant, pendant qu'on se parle, a été dénoncée partout cette semaine. Les médecins, notamment, hallucinent. Même les cathos: «Le pape est dans son rôle quand il parle de chasteté et les autorités sanitaires sont dans le leur en encourageant la prévention par le préservatif», a déclaré le médecin catholique Marc Gentilli à la chaîne de nouvelle française LCI.

Il faut dire que les vies en jeu se comptent par millions. Les deux tiers de la population mondiale vivant avec le VIH se trouvent en Afrique et près des trois quarts des personnes qui sont mortes du sida en 2007 étaient africaines.

En fait, dans la cacophonie des réactions anti-pape, cette semaine, ce qui était plutôt clair, c'est que le leader religieux a mis bien des catholiques dans l'embarras. Des catholiques qui ont de la difficulté à trouver une logique dans ce refus d'une méthode de prévention de la propagation de la maladie qui n'est peut-être pas parfaite, disent-ils, mais qui fait ses preuves en attendant que l'on trouve mieux.

Sachant à quel point l'Église catholique s'est attiré les foudres après la levée de l'excommunication de l'évêque négationniste, sans parler de toute l'affaire de la petite fille brésilienne violée et avortée, pourquoi, peut-on se demander, ne pas avoir plutôt choisi de se taire?

Pourquoi, s'il tenait absolument à lancer son message «moral», ne pas l'avoir fait sans cette réprobation du préservatif?

Qu'est-ce qui l'empêchait de combiner une discrète tolérance de son utilisation «médicale», avec la diffusion haut et fort de son message moral sur la prévention de la maladie?

Cette semaine, après pas mal de tergiversations, l'Église catholique a fini par comprendre que l'excommunication des médecins brésiliens ayant avorté une petite fille de 9 ans violée et enceinte de jumeaux était injustifiée. Donc, elle a montré qu'elle comprenait le concept de la compassion et du compromis.

Pourquoi ne pas faire preuve de la même souplesse avec la prévention du sida en Afrique? Pourquoi ne pas garder cette question sur le terrain médical - comme ce fut le cas pour l'affaire de la petite Brésilienne - plutôt que de tenir à en faire un enjeu moral?

Le pape, en plus, dans son discours à Luanda, en Angola, hier, cité par Le Figaro, a admis que les femmes africaines - premières victimes du sida - vivent dans une situation particulièrement bouleversante. Il a parlé de la «violence» et de «l'exploitation sexuelle» dont elles sont victimes.

Donc, il admet qu'il y a pas mal de chemin à faire avant que ce continent devienne le paradis de l'amour mesuré dont il semble rêver, où seuls les couples mariés, comme dans les livres d'images, font des choses sous la couette sans faire de mal à personne et en produisant de nombreux et beaux enfants.

Donc en attendant, on fait quoi, déjà, pour sauver des vies?