C'était il y a deux ans je crois. Anthony Bourdain, chef américain, auteur et grand amoureux de cuisine du terroir, lance lors d'une rencontre avec des journalistes montréalais que pour manger de la vraie bonne cuisine française, c'est à New York qu'il faut aller.

New York?

J'aurais pu m'en étonner, mais croire que New York, Londres ou Barcelone ont complètement dépassé le plus haut des hauts lieux de la gastronomie occidentale est devenu presque banal. Depuis que le créateur catalan Ferran Adrià s'est imposé avec sa cuisine moléculaire, que des chefs comme Alice Waters ou Thomas Keller ou Daniel Boulud ont mis New York et la Californie sur la carte des grandes destinations gourmandes, mais surtout depuis que le restaurant britannique Fat Duck a été couronné meilleur restaurant au monde, dans une liste qui inclut aussi toutes sortes de destinations danoises, australiennes et brésiliennes, cette idée que la gastronomie n'ait plus son épicentre en France se répand partout.

 

Et on l'entend partout.

Cette impression que tout bouge ailleurs que dans l'Hexagone et sa capitale, que celle-ci s'enfonce dans les draperies trop lourdes de ses grandes adresses étoilées, coincées et inaccessibles, n'a jamais été aussi populaire.

Sauf que voilà: c'est une impression.

La réalité est que même si toutes sortes d'autres villes ont fait d'extraordinaires et remarquables pas de géant pour développer leur culture alimentaire depuis une vingtaine d'années - Londres, Sydney, Chicago, Barcelone, Copenhague, pour ne nommer que celles-là -, cela n'empêche pas Paris d'être encore au sommet du monde occidental. Oui, la fameuse liste du magazine Restaurant couronne peut-être depuis quelques années l'espagnol El Bulli et le britannique Fat Duck ou le californien French Laundry comme meilleurs restaurants au monde. Mais encore cette année, aucun pays n'a plus de restaurants sur cette célèbre liste des 50 meilleures adresses au monde, que la seule ville de Paris où des chefs comme Pierre Gagnaire, Joël Robuchon, Alain Ducasse, Alain Passard et des adresses mythiques comme Le Cinq, L'Astrance ou Le Meurice continuent de préparer une cuisine et des expériences hors du commun.

Paris n'est plus ce qu'il a déjà été? On peut en convenir.

D'abord, il a été contaminé par les fast-food à l'américaine, une transformation que l'on peut attribuer, en partie, à la rigidité des traditions de la table française elle-même. Les Italiens, qui ont été moins touchés par le phénomène, ont toujours eu pizza et paninis pour répondre à la demande pour des repas rapides, pris autrement qu'autour d'une table avec quatre services et une bouteille de vin. Les Français, eux, ont mis du temps à trouver des solutions qui leur convenaient pour répondre à cette demande moderne.

Autre facteur: comme les villes anglo-saxonnes et nord-américaines se sont beaucoup améliorées - dont Montréal d'ailleurs - Paris n'a plus l'avantage du contraste, comme auparavant.

Le temps est depuis longtemps révolu où n'importe quel petit bistrot de tous les jours nous assurait un repas meilleur que ce que l'on pouvait trouver, même en se forçant, à Los Angeles ou Toronto.

Aujourd'hui, pour être épaté, il faut savoir où l'on va, que ce soit pour trouver un repas trois étoiles ou déjeuner d'une assiette de céleri rémoulade avec un coq au vin ou une tête de veau sauce grébiche.

Mais si on sait où on s'en va, bonjour le bonheur. Et pas besoin de courir les trois étoiles.

Partez, par exemple, chercher des pâtisseries chez Ladurée ou Hermé, ou arrêtez au Chateaubriand d'Inaki Aizpitarte*, dans le 11e, qui réinvente le pot-au-feu, ou alors prenez votre dîner au Comptoir du relais, d'Yves Camdeborde, dans le 6e, où les cochonnailles et la joue de boeuf braisée nous font re-re-redécouvrir le bonheur de la cuisine du terroir, voire ménagère.

Et même quand vient le temps de faire l'épicerie, ce que Paris fait bien, il le fait souvent, très souvent, bien mieux qu'ailleurs. Que ce soit le pain Poilâne, les confitures de Fauchon ou le thé de chez Mariage Frères. Et où ailleurs trouve-t-on des rues carrément inscrites autour de traditions gourmandes, comme les rues Mouffetard et Montorgueil, par exemple, et où pourrait-on aussi vivre à la fois des lieux comme La Grande épicerie de Paris, Hédiard et Petrossian?

Et là, on ne parle que des évidences, de la pointe de l'iceberg, des adresses archiconnues. Mais ce n'est pas tout. Car si Paris a sa dose de Picard - marchand de produits surgelés - et de Ed l'Épicier - chaîne bon marché -, la ville est encore remplie de milliers de bonnes adresses gourmandes, que ce soit des traiteurs de quartier ou tous ces marchés extérieurs qui s'installent sur les boulevards ou sur les places une ou deux fois par semaine, histoire d'apporter la campagne à la ville, sous forme de griottes, de topinambours ou de crème fleurette.

Paris n'est pas parfait et Paris change. Mais vous en avez déjà trouvé ailleurs, vous, d'aussi bons macarons cassis-violette?

* M. Aizpitarte est en ville pour le festival Montréal en lumière. Il cuisine à la Montée, le 26 février.