Je n'ai pas souvent contribué à l'engorgement des urgences de Sainte-Justine, comme celui qui sévit actuellement, mais j'avoue que je m'y suis retrouvée au moins deux fois. Tard le soir. Par dépit. Poussée par un réseau de la santé qui a fini par me convaincre que c'était la chose à faire.

Quand on est un parent, voyez-vous, aller aux urgences n'est pas une source de relaxation. Peut-être que certaines personnes âgées y vont pour se faire des amis et trouver un peu d'attention. Pas les parents. Le parent ne veut pas aller aux urgences.

Mais il y aboutit, parce qu'il est inquiet. Parfois pour de bonnes raisons. Parfois pas.

Les parents qui engorgent les urgences sont souvent ceux de cette seconde catégorie. Ceux qui s'inquiètent trop et qui pensent gérer ainsi leurs crises d'angoisse.

Évidemment, ils devraient avoir d'autres oreilles à qui confier leurs craintes. Mais, on connaît la ritournelle: il n'y a pas assez de médecins de famille, pas assez de conseils et de soins médicaux accessibles facilement. C'est ce problème que la chef péquiste Pauline Marois veut régler en trouvant un docteur pour tout le monde.

Mais est-ce d'une pluie de nouveaux médecins que nous avons besoin? Ou n'est-ce pas plutôt, ou à tout le moins aussi, une meilleure gestion de l'inquiétude?

Je n'ai pas compté le nombre de fois où j'ai appelé la ligne Info-Santé, ce service téléphonique qui nous met en contact avec une infirmière du CLSC du quartier. Mais je sais une chose: chaque fois que je l'ai appelée, je me suis fait dire d'aller consulter un médecin sur-le-champ. Une fois pour une brûlure, «ça ne sert à rien de voir juste une infirmière, elles ne peuvent pas prescrire l'onguent que ça prend (le Flamazine)». Une autre fois pour un mal de gorge avec fièvre, «le problème c'est que les enfants ont mal à la gorge et ne boivent pas et se déshydratent». Allez à l'hôpital!

Une fois, j'ai tellement essayé de ne pas aller aux urgences que je suis d'abord allée dans une clinique générale, puis dans une clinique pédiatrique pour finalement me faire dire qu'il fallait que j'aille... aux urgences, où, à 2h du mat', après cinq heures d'attente, on m'a finalement dit que mon fils aurait très bien pu aller dormir chez lui pour voir son médecin régulier le lendemain matin...

Et durant cette visite, un enfant a fait une crise d'épilepsie, sous nos yeux, dans la salle d'attente. C'est ça qui m'a le plus fâchée: ce sentiment très clair de ne pas être à ma place dans un univers médical hyper-spécialisé qui avait des chats pas mal plus graves à fouetter.

Le parent n'aime pas aller à l'hôpital se coltiner aux microbes avec son bébé. Le parent se ramasse là. À reculons.

Pourquoi est-ce impossible de parler à un médecin sur la ligne Info-Santé? Comment se fait-il que les infirmières soient encore aussi limitées dans les gestes qu'elles peuvent poser? Pourquoi n'y a-t-il pas des professionnels non médecins formés uniquement pour les sempiternelles et omniprésentes otites, postés aux portes des urgences pédiatriques ou dans les CLSC, juste pour ces cas-là? Pourquoi n'y a-t-il toujours pas de pédiatres qui font du service à domicile, pour éviter aux parents de rendre leurs enfants encore plus malades en les emmenant à l'hôpital?

Réparer un système de santé, ce n'est pas comme réparer une route ou un viaduc, on en convient. On ne peut donc pas s'attendre à ce que Québec fasse un virage à 180 degrés aussi rapide que ce qu'il a fait après l'effondrement du viaduc de la Concorde à Laval. Il faut des années pour former les médecins et les infirmières et tous les professionnels qui sont les épines dorsales du réseau. On le sait. On le répète maintenant depuis plusieurs années.

Sauf qu'il est faux de croire qu'en attendant, on ne peut rien faire. En refusant de répondre aux crises autrement que par «on veut plus de monde et plus d'argent», le système de santé se montre exaspérant de rigidité.

Pourquoi le gouvernement n'a-t-il pas le courage de supprimer les postes administratifs inutiles pour réinvestir dans les soins directs aux patients? Pourquoi les médecins sont-ils encore si réticents à lâcher du lest au profit d'autres professionnels? Et pourquoi, à l'ère de l'internet, la médecine est-elle encore si étanche aux nouvelles technologies qui facilitent notre vie partout ailleurs?

Et dernière question: peut-on répondre à ces questions sans prendre autant de temps que dans le dossier du CHUM?