Quelle histoire! Je viens de déposer le livre d'Alain Gravel sur l'affaire Geneviève Jeanson, et je n'arrive pas à croire à quel point tous les détails sur la carrière de la cycliste que le journaliste et son équipe ont réussi à déterrer ressemblent à une sorte de scénario de film sur une ado assoiffée de reconnaissance, un entraîneur violent, un père ambitieux et un sport spectaculaire et complexe.

Tout est là, si l'on se fie au livre. La violence, la dope, le mensonge, la domination, le chantage émotionnel, l'obsession de la victoire à tout prix. On y parle même de relations sexuelles auxquelles elle se serait sentie forcée d'acquiescer dès l'âge de 16 ans. Oui, cette petite menteuse qui nous a fait croire pendant des années qu'elle était une championne propre, qui nous a enragés par ses entourloupettes avec la vérité et qui nous fait jurer tout le long du livre en cherchant continuellement à fuir les faits, a eu droit à la totale.

Et le plus triste, c'est qu'en tournant la dernière page de L'affaire Jeanson: l'engrenage, on n'est pas réellement convaincu que la jeune femme va vraiment beaucoup mieux et que sa vie est réellement repartie sur la bonne voie.

Tout ce qu'il reste, c'est l'impression que lorsqu'on tire le rideau pour voir ce qui se passe dans les coulisses du sport d'élite, ce qu'on aperçoit est d'un glauque à lever le coeur.

On nous dit toujours que le chemin vers le podium est ardu. Mais à ce point nauséabond?

Si j'avais, en ce moment, un enfant athlète en train de s'entraîner en vue de compétitions avancées, je pense que j'éviterais de lire ce livre. Ou je le relirais une seconde fois. Ou je le mettrais à la poubelle en essayant de me convaincre que c'est l'exception... Je ne sais plus.

J'imagine qu'il y a toutes sortes de relations correctes et saines et productives entre entraîneurs et sportifs, des liens entre motivants et motivés qui permettent aux jeunes de se surpasser, d'apprendre l'effort, la discipline, l'art de rebondir et l'art de s'interroger. J'imagine qu'il y a des jeunes qui ressortent de ces expériences remplis de leçons exceptionnelles que des maîtres leur auront transmises tels les grands sages des films asiatiques.

Mais avouez qu'on entend trop souvent parler de l'inverse, que ce soit chez les sportifs ou ailleurs. Je pense notamment aux sordides histoires impliquant des enseignants religieux ou au cas Nathalie Simard, évidemment. Confier son enfant à un autre adulte n'aura jamais semblé aussi risqué.

Car c'est le lien d'autorité qui devient le poison. L'emprise qui n'a comme balise que le jugement du maître.

L'autre élément de réflexion qui ressort de l'histoire de la cycliste, c'est tout ce qui tourne autour de la volonté de réussite transmise notamment par le père. Ce père qui en savait long et qui lui faisait signer des contrats pour qu'elle soit première de sa classe, nous relate Alain Gravel.

Je dis réussite, mais est-ce vraiment de cela qu'il est question dans cette quête de la première place qui a poussé Jeanson à accepter l'abus, à gagner en mentant? Ou ne parle-t-on pas plutôt de triomphe absolu, de quelque chose qui n'a pas à être interprété, qui n'a pas à passer par une réflexion adulte sur la valeur relative de ce qui vient d'être accompli?

Je sais qu'à force de vouloir relativiser, justement, on peut finir par perdre le sens même de l'idée d'excellence. Et non, une quatrième place, ce n'est pas la même chose qu'une première. Et oui, ce n'est pas une mauvaise idée de vouloir gagner.

Mais entre les euphémismes doudous encouragés par un certain type d'éducation pour protéger à tout prix la confiance en soi des enfants, et le triomphe dopé cautionné par les parents, n'y a-t-il pas des zones intermédiaires où l'on pourrait envoyer nos enfants faire du sport et exceller sans qu'ils tombent dans un engrenage infernal?