Je suis assise avec un groupe de militants conservateurs dans un restaurant chinois de Kerrisdale, un quartier très cossu de Vancouver. La circonscription où nous sommes et qu'ils convoitent s'appelle Vancouver-Quadra, un bastion libéral - l'ancienne circonscription de l'ex-premier ministre libéral John Turner - où ils ont de bonnes chances de l'emporter. À la grande table ronde typique des restos de dim sum, Diana Lam, conservatrice de longue date, prête une oreille distraite aux commentaires d'un autre partisan, Robert McRudden, avec un scepticisme non dissimulé.

McRudden, ancien réformiste, étudiant en théologie, est en train de dire à quel point il aime la très pro-vie, très antimariage gai Sarah Palin. «Je la trouve super moderne», lance-t-il avec un grand sourire.

 

Lam, de toute évidence, trouve le personnage horripilant.

Dès que l'attention du jeune homme se porte ailleurs, Mme Lam se penche vers moi et confie, sans se faire entendre des autres: «Moi, je la trouve détraquée.»

Ce dialogue de sourds entre le jeune ex-réformiste et cette partisane conservatrice de longue date, une femme qui a travaillé avec l'ancienne première ministre Kim Campbell et la sénatrice Pat Carney et qui est devenue militante à l'époque où le parti s'appelait «progressiste» conservateur, est très présent à Vancouver.

Comme si la cassure entre la droite économique urbaine, celle que l'on associait jadis à des gens comme Michael Wilson ou Barbara McDougall, d'anciens ministres conservateurs torontois dans le gouvernement de Brian Mulroney, et la droite sociale, souvent rurale - pensez Stockwell Day - n'était pas totalement plâtrée. Elle l'est suffisamment pour réunir des équipes sous des bannières communes aux élections, mais les désaccords sur le terrain sont à fleur de peau.

Mme Lam, d'ailleurs, n'a pas l'air totalement à l'aise dans ce groupe venu appuyer la candidate locale Deborah Meredith. Surtout qu'un des invités dont on fait grand cas est le ministre pro-vie Jason Kenney.

«J'étais parmi ceux qui ont fondé Tories for Choice», me confie-t-elle encore discrètement, en parlant du groupe conservateur en faveur du libre choix en matière d'avortement.

En fait, la militante se défend presque d'être dans ce parti, qu'elle trouve surtout le plus crédible pour gérer les finances publiques. «On n'est pas si mal, on n'est même pas proche d'être aussi pire que Sarah Palin. On est plus à gauche, en général.»

Oui, ajoute-t-elle, «on a encore un côté progressiste. Je suis une Red Tory et j'en suis fière!»

Mais elle est quand même dans le même parti que McRudden, qui, assis trois fauteuils plus loin, est lancé dans une tirade contre les bureaucrates d'Ottawa qui ne verront jamais de changements sur leur chèque de paie même si le Canada s'en va en récession, alors que le Canadien ordinaire, lui, celui qui travaille fort pour élever sa famille et prie chaque soir, va en payer le prix jusqu'au dernier cent...

En fait, à table, chacun semble avoir sa propre conversation.

*****

Plus tard, en après-midi, je me dirige vers l'Université de Colombie-Britannique où parle Kim Campbell devant un auditoire d'anciens diplômés. Et là encore, une certaine fragilité du consensus conservateur fait surface.

Répondant aux questions d'une animatrice, façon Viens voir les comédiens, l'ancienne députée de Vancouver-Centre, qui vit aujourd'hui en France et occupe notamment le poste de secrétaire du Club de Madrid - un regroupement d'anciens chefs de gouvernement voué à la promotion de la démocratie -, souligne l'importance pour le Parti conservateur de ne pas dériver vers la droite. Celle qui a en premier piloté le renforcement du contrôle des armes au Canada, après la tuerie de Polytechnique, alors qu'elle était ministre de la Justice, celle qui a laissé s'éteindre les velléités conservatrices de criminaliser à nouveau l'avortement au début des années 90, surveille de toute évidence de près ce que l'ancien réformiste Stephen Harper fait avec le pays.

Elle le félicite d'avoir réussi à créer une coalition sur les restants fragmentés laissés par Preston Manning. Mais elle le met presque en garde.

Il faut absolument, dit-elle, «qu'ils continuent d'avoir une vision centriste, parce que les Canadiens sont au centre».

En fait, dit Mme Campbell, «on ne peut pas gagner le Canada avec les extrêmes».