«J'ai refusé le rose longtemps.» Cette année, Nathalie Barcelo a cédé. Présidente de Bloco et conceptrice de sa gamme de jouets animaliers en pièces de mousse de plastique, elle vient de lancer ses premiers modèles spécifiquement destinés aux filles.

Les chevaux, pouliches et autres juments, assemblés et articulés avec des chevilles, peuvent être enjolivés de selles, de licous, de fleurs, de rubans, se transformer en licorne, en cheval ailé ou à bascule. Les couleurs sont à l'avenant: rose, bleu adouci, crème...

Les fabricants de jouets se sont régulièrement cassé les dents sur ce problème: comment intéresser la moitié de leur clientèle potentielle aux jeux de construction?

«J'ai essayé de prendre la thématique qui plaît à presque toutes les jeunes filles que je connais, répond pour sa part Mme Barcelo. J'ai posé des questions à je ne sais combien d'enfants.» Et l'univers équestre s'est imposé.

Elle s'est laissé convaincre par plusieurs mères d'y mettre du rose. «Je suis obligée d'admettre que leurs filles craquent», confie-t-elle.

L'expérience lui a fait observer une différence d'approche entre les sexes: «Les petits garçons vont vite essayer de connecter les pièces ensemble, alors que les petites filles osent un peu moins.»

Pour intéresser cette clientèle insaisissable, Mattel avait lancé en 2003 sa gamme Ello, «conçue autour des schèmes de jeux des filles», expliquait l'entreprise. Cet étrange assemblage de pièces colorées permettait à la fois de construire des personnages et environnements fantaisistes et de faire des articles d'artisanat. De toute évidence, les concepteurs se sont usé les méninges à tenter de pénétrer dans celles des fillettes... en pure perte. Le produit a rapidement disparu.

Mega Brands fait face au même défi. «Même notre article de construction le plus neutre - les blocs Mini Micro, sans thème, en vrac -, on en vend deux fois plus aux garçons qu'aux filles», observe Dominique Roy, vice-président design et développement.

Mega Brands a tracé une frontière à 6 ans. À partir de cet âge, l'entreprise québécoise n'offre aucun ensemble de construction spécifique aux fillettes. «Si on veut vendre nos produits à des filles - il y a des bénéfices autant pour les garçons que les filles à construire -, on ajuste la teneur en construction dans nos jouets et on utilise une licence qui aura de l'attrait pour elles, comme Dora l'exploratrice ou notre nouvelle gamme Ni Hao», constate M. Roy.

Basée sur un dessin animé télévisé, la collection Ni Hao met en vedette une fillette d'origine chinoise. Ce petit univers à saveur orientale, qui sera lancé à l'été 2009, est davantage un jouet d'assemblage que de construction. À dessein. «On le voit dans les groupes témoins: chez les plus jeunes, les filles ont tendance à construire plus à plat, en 2D, du genre mosaïque, alors que les garçons, intuitivement, vont vers des tours», souligne Dominique Roy.

Malgré tout, plusieurs études montrent qu'il n'y a pas de distinction entre les sexes dans les habiletés spatio-visuelles en bas âge, insiste Louise Cossette, professeur au département de psychologie de l'UQAM, où elle donne le cours de psychologie différentielle des sexes.

Pour ce qui concerne l'intérêt, c'est une autre histoire. La majorité des fillettes préfèrent les jouets qui leur sont destinés et auxquels les garçons n'accordent qu'un regard distrait. Cependant, tout indique que cet intérêt sexué n'est pas inné, mais plutôt induit par l'environnement social, soutient Mme Cossette. «Quand on examine les jouets des très jeunes enfants, avant même qu'ils n'en demandent, on trouve chez les garçons beaucoup plus de jeux de construction, de blocs.»

De quelles couleurs, déjà, les vêtements des bébés?