« Est-ce que les films choisis par la SODEC représentent vraiment ce que les créateurs proposent comme cinéma ? »

La question, fort pertinente, était posée hier dans nos pages Débats par une coalition de producteurs de cinéma, inquiète de la gestion des fonds publics par la Société de développement des entreprises culturelles du Québec.

« Il y a manifestement péril en la demeure », estiment ces producteurs (parmi lesquels les cinéastes Micheline Lanctôt, Denis Langlois et François Delisle) en évoquant des « problèmes importants de gouvernance, de transparence et de direction » à la SODEC.

Ils ne sont pas les seuls, du reste, à se plaindre des décisions de la SODEC. Il y a 10 jours, j’ai publié une chronique sur le problème d’image du cinéma québécois, qui a des difficultés à rejoindre son public. J’ai reçu, dans la foulée, des dizaines et des dizaines de commentaires de la part de cinéastes, techniciens, distributeurs, producteurs, acteurs, critiques et cinéphiles.

Quelques cinéastes étaient, comment dire… peu amènes ? D’autres étaient, au contraire, ouverts à un dialogue constructif. Pourquoi le public québécois boude-t-il son cinéma ? Pourquoi l’image que projette le cinéma québécois, selon la perception d’un public qui rechigne à le fréquenter, est-elle si sombre et morose ?

Il y a de très bons films québécois, d’excellents films, même. Des premiers longs métrages très maîtrisés, des propositions prometteuses, des filmographies fascinantes qui se construisent. 

Mais le public québécois – à l’exception d’un noyau de quelques milliers de cinéphiles – n’en sait rien, parce que l’image qui colle au cinéma québécois le rebute. J’exagère ? Faites le test avec votre beau-frère, votre collègue de bureau, votre ado…

Comment élargir ce public ? C’est la question à un million de dollars, écrivais-je en conclusion de cette chronique. Les réponses ont été nombreuses. Plusieurs confirment ce que l’on sait depuis longtemps : c’est-à-dire qu’il y a un grave problème d’accessibilité à nos œuvres. Des dizaines de cinéphiles ont regretté l’absence de diffusion de films québécois dans leur ville ou leur région, ainsi que la difficulté (congestion routière, stationnement) de se rendre dans une salle de cinéma montréalaise où les films québécois sont projetés.

Une partie du problème tient au fait que les films québécois ne parviennent pas à tenir l’affiche assez longtemps pour créer un bouche-à-oreille nécessaire afin d’attirer les cinéphiles au cinéma. Nous sommes Gold d’Éric Morin n’était déjà plus en salle lorsque ce bouche-à-oreille a fait son œuvre. Les films québécois en chassent souvent d’autres, après seulement deux ou trois semaines à l’affiche, et généralement au profit de superproductions américaines. Déjà que peu de salles permettent à notre cinéma l’occasion de se mettre en valeur.

Il y a aussi, manifestement, un problème de mise en marché. Nombre de lecteurs m’ont avoué n’avoir jamais entendu parler de la majorité des films que je citais dans ma chronique (qui étaient pourtant tous en lice pour un prix Iris la semaine dernière). Ce qui explique peut-être en partie pourquoi Les affamés, excellent film de zombies de Robin Aubert, n’a pas davantage été vu au cinéma.

Certains estiment qu’il faudrait s’assurer, par des incitatifs intéressants, que les salles offrent une place de choix au cinéma québécois. Des quotas comme à la radio pour le cinéma québécois ? Des prix réduits pour inciter le public à voir les films de nos cinéastes ?

Aux problèmes de distribution, que j’évoquais dans cette chronique, s’ajoutent ceux du financement. « Le cinéma québécois est en pleine effervescence, écrivait hier dans nos pages cette coalition de producteurs indépendants. La qualité des films, leur diversité et leur reconnaissance internationale en témoignent. Conséquemment, depuis plusieurs années, la SODEC doit traiter un nombre grandissant de demandes de financement, sans pour autant voir son enveloppe budgétaire suivre cette augmentation. »

La tâche de la SODEC n’est pas simple. Chacun veut sa part d’une tarte qui, d’année en année, est de plus en plus petite. Ça se bouscule à table, il y a des laissés-pour-compte et le ton monte. Plusieurs remettent en question les choix de l’organisme subventionnaire québécois. Est-ce que ceux qui sont chargés de lire les scénarios à la SODEC savent apprécier autre chose qu’un drame intimiste gris ? se demandait la semaine dernière un cinéaste. Est-ce que d’autres genres de films sont proposés et refusés ? La réponse, c’est oui, m’a-t-il dit.

On ne peut demander à un artiste de créer autre chose que ce qu’il veut créer, d’exprimer autre chose que ce qu’il a à exprimer. Cela relève de l’évidence. 

L’artiste est souverain, me rappelait un autre cinéaste la semaine dernière. Je suis bien d’accord. Le critique aussi est souverain, du reste…

Mais peut-on s’assurer que la variété de points de vue exposés par nos cinéastes soit plus grande ? Que le type de cinéma que l’on propose se démarque encore plus d’une œuvre à l’autre, une année donnée ? Que ceux qui ont une vue d’ensemble de notre production soient plus vigilants à cet égard ? Peut-être parviendrait-on à rejoindre un public plus vaste qu’une poignée d’irréductibles ?

Cela n’équivaut pas, tant s’en faut, à mépriser notre cinéma, à encourager la production à la chaîne de blockbusters insipides ou de dicter aux cinéastes comment faire leur métier. Ce que certains de ceux-ci m’ont accusé de faire, et ce, depuis des années. S’ils étaient aussi comiques dans leurs scénarios… (C’EST UNE BLAGUE, LES AMIS !)

« Je connais plusieurs créateurs ayant proposé des scénarios de films de genre et de comédies intelligentes qui auraient certainement intéressé le grand public (et les critiques), mais comme ce n’était pas des histoires qui donnent envie de se suicider, ils n’ont jamais eu de soutien, et ils ont simplement arrêté de faire des propositions », m’a écrit un lecteur, résumant la pensée de plusieurs autres.

« Existe-t-il une certaine crainte, réticence ou conservatisme dans l’attribution des subventions aux scénarios qui sortiraient davantage du genre actuellement préconisé ? Est-ce que, selon vous, la SODEC serait la principale source de ce manque de diversité ? », m’a demandé un technicien qui aspire à réaliser des films.

La SODEC, je le répète, n’a pas la tâche facile. (Ma demande d’entrevue à l’organisme, hier, est restée sans réponse.) Un ancien chargé de projet de la SODEC, qui ne nie pas « la part de responsabilité [des organismes subventionnaires] dans cette débâcle », s’est désolé dans un courriel d’avoir souvent été contraint de lire des scénarios sans queue ni tête. « Nul doute que le petit milieu va vous assassiner pour dire tout haut ce que le public pense tout bas », a-t-il ajouté. Il n’avait pas tort…