Les galas, du moins la plupart des galas, célèbrent l'excellence. Certains, il est vrai, consacrent plutôt la popularité, mais c'est une autre histoire. Hier, Québec Cinéma a dévoilé les finalistes de son 20e gala, qui aura lieu le 3 juin et où l'on décerne désormais des Iris plutôt que des Jutra. Ça aussi, c'est une autre histoire.

> Consultez la liste des finalistes

Quelques changements ont été apportés à la soirée strass et paillettes du cinéma québécois, dont un, en particulier, a retenu mon attention : le passage, dans la catégorie du meilleur film, de cinq à sept candidats. L'objectif plus ou moins avoué de ce changement : faire davantage de place à des films plus populaires ou commerciaux dans les catégories de pointe du gala.

Les producteurs de films populaires ou commerciaux, qui s'estiment souvent snobés par l'industrie, espèrent enfin recevoir la reconnaissance de leurs pairs; les organisateurs du gala, qui peine plus que d'autres à attirer des téléspectateurs, souhaitent accueillir le public de ces films populaires. C'est un échange de bons procédés, entre partenaires d'affaires.

C'est aussi la raison pour laquelle, il y a quelques années, la catégorie reine de la soirée des Oscars est passée de cinq à une possibilité de dix finalistes (même s'il y a rarement plus de huit films sélectionnés). Les cotes d'écoute de la télé sont en chute libre partout, et chacun y va de sa stratégie pour tenter de maintenir le public devant son petit écran, pendant deux ou trois heures, un dimanche soir de gala.

Je trouvais déjà que d'élargir la catégorie du meilleur film à plus de cinq candidats aux Oscars était une mauvaise idée. Pour un gala qui récompense la crème de la crème d'une production mondiale de plusieurs centaines de longs métrages. Seulement 37 longs métrages de fiction étaient admissibles à concourir au Gala Québec Cinéma cette année. 

Si le 7/37 était une loterie, j'achèterais un billet sans hésiter.

Je n'ai plus fait de cours de mathématiques depuis ma première année du collégial, mais si mes calculs sont exacts, la probabilité qu'un cinéaste ayant réalisé un long métrage de fiction au Québec dans la dernière année se retrouve dans la catégorie phare du Gala Québec Cinéma est de 18,9%.

Tant mieux pour les cinéastes de fiction québécois, qui n'ont pas tant d'occasions de se réjouir de l'attention que l'on porte à leur travail. Tant pis, en revanche, pour le Gala Québec Cinéma, qui semble vouloir imiter le gala des prix Gémeaux et sa manie de distribuer à tout vent des prix de participation. Pas moins de 26 films de fiction sur 37 se retrouvent dans au moins une catégorie du gala du cinéma québécois, pour un total de 193 finalistes, toutes catégories confondues.

Un film a 70% de chances d'être finaliste au Gala Québec Cinéma, toujours selon mes maths de cégep 1. Tant mieux pour les cinéastes, disais-je. Tant mieux aussi pour les producteurs, les acteurs, les techniciens de notre cinéma, qui font souvent des miracles avec peu de moyens. Tout le monde aime recevoir une accolade et une tape dans le dos. Sauf qu'en faisant du gala du cinéma québécois une cérémonie d'autocongratulation où chacun ou presque est convié, on dilue l'importance des récompenses et on porte atteinte au prestige d'un événement qui en a besoin.

Les galas, je le répète, célèbrent en principe l'excellence. Il y a eu de très bons films québécois dans la dernière année. Des films variés, de tous genres. Des premiers films prometteurs et audacieux, qui ont révélé de jeunes acteurs talentueux (Charlotte Aubin dans Isla Blanca, Théodore Pellerin dans Chien de garde, Rose-Marie Perreault dans Les faux tatouages, par exemple). Des films excellents, qui vont marquer l'histoire de la cinématographie québécoise? Peu. Certainement pas 26. Ni sept. Pas même cinq à mon avis. Les affamés est un excellent film de zombies, signé Robin Aubert. Chien de garde est un excellent premier film de Sophie Dupuis...

Le plus ironique, dans cette décision d'ouvrir la catégorie du meilleur film à sept candidats, c'est qu'on n'y retrouve pas plus de films populaires ou commerciaux qu'auparavant. 

Ni Bon Cop, Bad Cop 2 ni De père en flic 2, les grands succès estivaux de 2017, qui ont permis au cinéma québécois de regagner quelques parts de marché. Les rois mongols de Luc Picard est la proposition la plus «accessible» du lot.

C'est sans parler du camouflet réservé à Hochelaga, terre des âmes, ambitieuse production de 15 millions de dollars qui avait été choisie par le Canada pour concourir aux Oscars (sans être retenue). En lice dans dix catégories, mais pas dans celles dites de pointe (meilleur film, réalisation et scénario), le film de François Girard s'est fait damer le pion dans la catégorie du meilleur film par Boost de Darren Curtis - pratiquement inconnu au bataillon - ou encore Tuktuq, docufiction expérimentale de Robin Aubert, qui ferait passer Le problème d'infiltration de Robert Morin pour du cinéma grand public. Bref, comme dirait Claude Lelouch, tout ça pour ça...

Que l'on ne se méprenne pas : je me réjouis que le jury de 40 membres de l'industrie chargé de choisir les finalistes des Iris ait sélectionné des oeuvres sur le seul mérite de leurs qualités artistiques et cinématographiques. Hochelaga, terre des âmes a bien des qualités, notamment formelles, mais ce n'est pas un très bon film. Non, François Girard n'a pas été snobé par les siens. Il n'est pas un artiste incompris, mieux reconnu à l'étranger que chez lui. Il a déjà réalisé de meilleurs films. C'est tout.

Qui trop embrasse mal étreint. Si le Gala Québec Cinéma veut demeurer une vitrine de choix pour le cinéma québécois, il devra s'assurer de ne pas en ternir le prestige. Sinon, on risque à terme de ne plus y voir clair.