Un président des États-Unis qui dépeint les journalistes comme des menteurs, restreint l'accès des médias à l'information et menace la liberté de la presse. Non, Donald Trump n'a rien inventé. Bien avant lui, il y eut - de triste mémoire - Richard Nixon.

Le premier grand scandale à éclabousser l'administration Nixon fut celui des Pentagon Papers, qui révélèrent notamment à quel point les États-Unis s'étaient enlisés dans la guerre du Viêtnam en connaissance de cause, au détriment de l'avis éclairé de nombreux observateurs sur le terrain.

L'un des auteurs de ce rapport secret de quelque 7000 pages, Daniel Ellsberg, décida de divulguer une partie des documents à des journalistes. C'est le New York Times qui, le premier, révéla l'affaire en 1971, avant d'être paralysé par une injonction de la cour, à la demande du département de la Justice américain. Le Washington Post reprit la balle au bond, sous la houlette de son rédacteur en chef Ben Bradlee, le même qui chapeauta l'enquête des journalistes Carl Bernstein et Bob Woodward dans l'affaire du Watergate (qui mena à la démission de Nixon en 1974).

C'est aux coulisses de l'enquête du quotidien de référence de la capitale américaine que s'intéresse Steven Spielberg dans son nouveau film, The Post, à l'affiche aujourd'hui. Le cinéaste de Lincoln et de Munich se penche sur les accointances politico-journalistiques de l'époque et les hésitations de la haute direction du Washington Post, alors en phase de restructuration financière, à donner le feu vert à la publication de ce reportage potentiellement préjudiciable pour l'entreprise.

The Post est l'occasion d'un réjouissant duel d'acteurs entre Tom Hanks (Bradlee) et Meryl Streep, qui incarne Katharine Graham, femme mondaine ayant hérité du journal de son père, dirigé pendant des décennies par son mari. Katharine Graham, peu rompue à cet exercice et intimidée par son rôle de chef d'entreprise, a bravé la condescendance de son conseil d'administration entièrement masculin, à une époque où les boys' clubs n'étaient pas le moindrement remis en question, pour trancher en faveur de ses journalistes.

The Post, qui a un sous-texte féministe, est surtout une ode de Steven Spielberg au journalisme, à rendre nostalgique de l'âge d'or de l'imprimé.

En voyant le film, je me suis replongé dans mes jeunes années au pupitre de La Presse, alors que nous recevions des exemplaires tout chauds - littéralement - de la première édition du journal directement des rotatives en fin de soirée, avant de mettre en pages la deuxième édition.

Parlant de nostalgie, la dernière scène de The Post renvoie à celle qui ouvre All The President's Men. Le film n'est pas aussi abouti que le classique d'Alan J. Pakula (ni du reste que Spotlight de Tom McCarthy, un autre excellent « film de journalistes »). La tendance prêchi-prêcha du cinéma de Spielberg - Oskar Schindler demandant pardon à ses employés de ne pas en avoir sauvé davantage - empêche à mon sens The Post de transcender le genre. Mais c'est une oeuvre inspirante pour quiconque a à coeur la liberté de la presse et considère les médias comme des remparts nécessaires à la vitalité d'une démocratie.

SURVIE DES MÉDIAS 

Je ne suis pas le seul, pendant la projection de presse, à avoir été ému par cet élan sincère d'affection pour notre profession. Pour ces journalistes qui agissent comme des chiens de garde de l'intérêt public, en quête de vérité, afin de révéler ce qu'on nous cache, comment on nous le cache, pourquoi on nous le cache et qui a intérêt à nous le cacher (notamment). Mais je me suis demandé, en sortant de la salle, s'il n'y avait que des journalistes pour être interpellés par ce genre de récit.

J'ose croire que non. Car l'heure est grave. Depuis 15 ans, on estime que plus de la moitié des emplois ont été perdus dans les journaux américains. La situation est sensiblement la même au Canada. Des centaines de journaux ont dû fermer leurs portes depuis le tournant du millénaire, au Canada, aux États-Unis comme ailleurs.

Il n'y a pas que les profonds bouleversements technologiques - et par conséquent économiques - des dernières années qui menacent la survie des médias. Il y a aussi une crise de confiance du public envers les sources d'information. Quantité de gens croient que les nouvelles sont fabriquées de toutes pièces pour servir différents intérêts politiques et financiers.

Aussi, The Post prend l'affiche dans un contexte on ne peut plus pertinent. Celui d'une désillusion générale de la population face à la crédibilité de l'information relayée par les médias de masse, notamment aux États-Unis, où les journalistes sont discrédités sans relâche par nul autre que le président Trump, qui en a fait (et je cite) « les ennemis du public américain ».

Or, des voix s'élèvent, un peu partout, pour rappeler l'importance d'une presse libre et forte. Oprah Winfrey en a fait mention dans son émouvant discours de la soirée des Golden Globes dimanche, en soulignant que c'était grâce à des journalistes que le mouvement #metoo avait pu voir le jour.

Le New York Times, à l'origine de l'affaire Weinstein, y fait écho dans sa nouvelle campagne sur les réseaux sociaux, où apparaissent successivement les phrases « He said. She said. He said. She said » (« Il a dit. Elle a dit »), puis seulement la répétition de « She said. She said. She said », etc. « La vérité a du pouvoir, la vérité ne sera pas menacée, la vérité a une voix », conclut cette publicité percutante.

L'une des solutions à la pérennité des médias semble être, ironiquement, Donald Trump lui-même. Le New York Times a fait le plein d'abonnés après son élection. Et depuis que le président répète à qui veut bien l'entendre que les médias traditionnels diffusent de « fausses nouvelles » - chaque fois qu'une information est le moindrement critique de son administration -, la confiance du public envers les médias américains, quoique timide, est à la hausse.

Selon un sondage Ipsos mené en septembre dernier aux États-Unis pour l'agence Reuters, 48 % des sondés disaient « faire confiance » aux journalistes, contre 39 % au lendemain de l'élection de Donald Trump en 2016. Peut-être, finalement, que The Post ne raconte pas une époque révolue, mais une histoire qui se répète.