Ce devait être une discussion sans conséquence autour du 20e anniversaire du film Wag the Dog, satire politique de Barry Levinson, d'après un scénario remanié par David Mamet. C'est devenu un débat houleux sur les accusations d'inconduite sexuelle qui secouent Hollywood depuis plusieurs semaines.

Lundi soir à New York avait lieu une projection de Wag the Dog en présence de l'équipe du film, suivie d'une discussion (très) animée par l'humoriste John Oliver. Wag the Dog, sans être un grand film, avait marqué les esprits à sa sortie en salle en 1997, quelques semaines avant que n'éclate l'affaire Clinton-Lewinsky.

Robert De Niro y incarne un spécialiste des relations publiques qui, pour distraire les médias et l'opinion publique d'un scandale impliquant le président des États-Unis, charge un producteur hollywoodien (Dustin Hoffman) de mettre en scène une fausse guerre dans les Balkans. Le scandale ? Le président, en fin de campagne électorale, est accusé d'attouchements sur une mineure...

Il se trouve que début novembre, une ancienne stagiaire (devenue auteure) a accusé Dustin Hoffman d'attouchements et de harcèlement sexuel sur le plateau du téléfilm Death of a Salesman, en 1985. Anna Graham Hunter n'avait alors que 17 ans. Dustin Hoffman s'est aussitôt excusé par communiqué de tout geste qu'il aurait pu faire et qui aurait pu indisposer Mme Graham Hunter. Des gestes qui, dit-il, ne « reflètent pas [s]a vraie nature ».

L'excuse de la « vraie nature » n'a pas convaincu John Oliver, dont l'émission Last Week Tonight à HBO égratigne les rois détrônés du showbiz américain depuis l'affaire Weinstein. Après une demi-heure de discussion anodine sur Wag the Dog, l'animateur a décidé de s'attaquer à « l'éléphant dans la pièce », en précisant que la défense de Dustin Hoffman laissait, selon lui, beaucoup à désirer.

« Vous présumez que ce que vous avez lu à propos de moi est vrai et vous avez décidé que j'étais coupable », a rétorqué, combatif, l'acteur de 80 ans.

Dustin Hoffman - dont l'« engagement féministe », dit-il, est mis en évidence dans le film Tootsie  - a reproché à John Oliver de croire sur parole la présumée victime et de ne pas avoir « l'esprit assez ouvert » pour lui accorder le bénéfice du doute.

Anna Graham Hunter n'est pas la seule à avoir dénoncé les comportements du célèbre acteur. La comédienne Katharine Ross a également accusé Dustin Hoffman d'attouchements sur le plateau de The Graduate, et une scénariste, Wendy Riss Gatsiounis, dit avoir fait l'objet de propositions indécentes de la part de l'acteur lors d'une réunion professionnelle au début des années 90.

« Pourquoi je ne les croirais pas ? », a demandé Oliver à Hoffman. C'est, il me semble, une question fondamentale. Il a fallu qu'une demi-douzaine de femmes accusent Bill Cosby d'agression sexuelle pour que sa première présumée victime ne soit plus considérée comme une fabulatrice.

Il existe, bien sûr, des cas isolés de femmes qui, comme dans Gone Girl, le film de David Fincher inspiré du roman de Gillian Flynn, imaginent de toutes pièces une agression dont elles auraient été victimes, pour se venger d'un homme. Les dérapages sont possibles, surtout à l'ère des réseaux sociaux. D'où l'importance d'un traitement médiatique rigoureux, qui pallie en partie les lacunes du système judiciaire.

Les fausses accusations d'agression sexuelle demeurent rares. Ce qui est moins rare, c'est le fait de discréditer ou de remettre en question le témoignage d'une présumée victime. La blâmer de s'être rendue vulnérable, en lui faisant porter le fardeau de la preuve.

Certains hommes de pouvoir s'en sont fait une spécialité. Il ne faudrait pas croire, du reste, qu'il n'y a que des hommes pour banaliser ce que subissent les victimes.

L'une des productrices de Wag the Dog, Jane Rosenthal, a pris la défense de Dustin Hoffman lundi soir. « On ne peut pas comparer le passé et le présent. Quelle différence ça peut faire ? Cette conversation ne mène nulle part », a décrété sèchement la productrice de 61 ans. 

Plusieurs, comme elle, souhaiteraient qu'on laisse les squelettes dans les placards et les fantômes dans le passé, sous prétexte que « ce qui est fait est fait ».

Sa réaction, de déni, me rappelle celle des humoristes après l'affaire du Manoir Rouville-Campbell. La plupart d'entre eux ont voulu croire que Gilbert Rozon avait « payé sa dette » parce qu'on avait publié sa photo dans les journaux, menotté. Chaque fois que Rozon a déclaré par la suite qu'il avait été puni pour toutes les « erreurs » de son passé, les humoristes ont préféré détourner le regard, de crainte de voir ce qui se cachait sous cet aveu.

Je parle des humoristes, mais c'est vrai de la société québécoise en général. On a décidé d'exonérer un homme de pouvoir de tous les soupçons qui pesaient sur lui. On a fait table rase, en se faisant croire que « tout ça », c'était de l'histoire ancienne. Sans s'encombrer des détails du « tout ça ». Ce qui se passe dans le passé doit rester dans le passé. Gilbert Rozon, lui, n'a pas fait de prison, a réclamé 200 $ et a « passé go ». Il a profité d'un sursis de 20 ans et de notre nonchalance collective.

Comme cette productrice avec Dustin Hoffman, on a mis les « erreurs » de Rozon sur le compte des moeurs d'une autre époque, qui a décidément bon dos. Jusqu'à ce que l'on tombe soudainement des nues en découvrant de multiples allégations d'inconduite sexuelle. Le Manoir Rouville-Campbell était l'arbre qui cachait la forêt. Qui l'eût cru ? Hum...

Il a fallu des femmes courageuses, dont la voix collective porte - Lyne Charlebois, Salomé Corbo, Pénélope McQuade, Patricia Tulasne, Julie Snyder, et d'autres -, pour que l'on n'ait plus le loisir de détourner le regard.