Le succès comique de l'automne, aux États-Unis, se résume à une moue. Celle d'Alec Baldwin dans son imitation d'un personnage aussi grotesque que caricatural, le candidat républicain à la présidence américaine Donald Trump.

Depuis le début de la 42e saison de Saturday Night Live, célèbre émission de sketchs humoristique, Alec Baldwin incarne avec toute l'exagération dont il est capable un Donald Trump qui n'arrivera jamais à être aussi bouffon que l'original. Et il fait un tabac. Profitant de la manne électorale, SNL obtient ses meilleures cotes d'écoute depuis la fin de l'ère Bush. Ce n'est peut-être pas une coïncidence...

Samedi soir, à mi-sketch d'un nouveau débat simulé entre Trump et Hillary Clinton, Baldwin et Kate McKinnon (excellente en candidate démocrate) ont mis de côté leurs personnages afin d'appeler la population américaine à voter en se promenant dans Times Square au son de Wake Up! d'Arcade Fire - une chanson de circonstance.

L'élection présidentielle, et en particulier la présence d'un candidat aussi coloré que Donald Trump, est une mine d'or pour les humoristes de la télé américaine, qui ont bien exploité le filon depuis un an.

Le prégénérique de Saturday Night Live ravit des millions de téléspectateurs depuis plusieurs semaines avec ses duels Clinton-Trump. Plusieurs d'entre eux ne sont sans doute pas pressés de voir Alec Baldwin délaisser son personnage, même si c'est pour l'intérêt supérieur de la nation. À moins que le peuple américain n'en décide autrement.

Comment caricaturer avec succès un personnage qui est déjà une caricature? C'est l'exploit que réussit Baldwin, avec un je-ne-sais-quoi d'emphase et de livraison comique.

Kate McKinnon, qui a remporté un prix Emmy pour son rôle de Hillary Clinton, n'est bien sûr pas étrangère au succès du duo.

Saturday Night Live, qui avait été vertement critiquée il y a un an pour avoir invité Donald Trump à animer un épisode, a fait amende honorable grâce aux performances de Baldwin (que Trump a qualifiées de «job de bras»). Bien des Américains plus à gauche de l'échiquier ont plutôt perçu le Trump de Baldwin comme une soupape, voire une catharsis à une bien vilaine campagne électorale.

S'il est élu président, Donald Trump offrira malgré lui un matériel comique inépuisable aux émissions de télé humoristiques. Les plus belles années de Jon Stewart à la tête du Daily Show ont coïncidé avec celles de George W. Bush à la présidence des États-Unis. Et de la fesse gauche du Daily Show, désormais animé par le Sud-Africain Trevor Noah, sont nées les émissions de ses anciens correspondants John Oliver, Samantha Bee et Stephen Colbert, qui ont fait leurs choux gras de cette élection.

Dimanche, à son émission Last Week Tonight à HBO, le Britannique John Oliver admettait s'être «spectaculairement trompé» dans le passé en sous-estimant Donald Trump. Il a diffusé un extrait du Daily Show, qu'il animait en remplacement de Jon Stewart en 2013, dans lequel il suppliait l'homme d'affaires de se porter candidat à l'élection présidentielle. Aujourd'hui, il semble la trouver moins drôle. Comme plusieurs de ses collègues humoristes.

«Cet homme a une réelle chance de devenir président. Malgré qu'il ait fait éclater un parti politique, mis à mal la crédibilité de notre système électoral, déclaré la chasse ouverte aux journalistes et inspiré une rivière de racisme et de misogynie. Aussi, et je sens qu'on l'a oublié: il a des cheveux vraiment stupides!»

Ce week-end, la très talentueuse Samantha Bee - à la barre de Full Frontal depuis février - a réuni l'ensemble des surnoms affectueux dont elle a affublé Trump depuis le début de la campagne, parmi lesquels Agent Orange, Suprémaciste orange et Casino Mussolini. L'ex-collègue canadienne de John Oliver est la seule femme à animer un talk-show de fin de soirée à la télévision américaine. Et elle ne rate jamais une occasion de casser du sucre sur les boys clubs et leur président honorifique Donald J. Trump.

La semaine dernière, l'animateur de l'émission Late Night, Seth Myers, a lui aussi ironisé sur le choix «difficile» posé aux Américains entre une candidate dont les courriels ont été épluchés (en vain) par le FBI et un candidat qui a notamment traité les Mexicains de violeurs, a été accusé par 12 femmes d'agressions sexuelles, a fait faillite six fois, a déclaré que les femmes qui se font avorter devraient être punies et que le réchauffement climatique était une supercherie chinoise. «Comment choisir?», s'est demandé l'ex-présentateur du Weekend Update (toujours à SNL), pince-sans-rire comme à son habitude.

Tout ça pour dire que l'effort électoral des humoristes a été considérable pendant cette élection présidentielle. Et sans surprise, quasi à sens unique. Lorsque l'animateur du Tonight Show (et ex-SNL) Jimmy Fallon s'est permis, au début de septembre, de plaisanter avec Donald Trump en ébouriffant sa coiffure, il a été durement critiqué pour son entrevue jugée complaisante. Samantha Bee a été particulièrement cinglante, accusant Fallon de faire le jeu d'un fasciste...

De tout temps, les humoristes américains ont commenté les élections présidentielles américaines. Chevy Chase imitait Gerald Ford dans les années 70. Si bien que, parfois, on en vient à confondre les sketchs et la réalité. En 2008, plusieurs ont cru que c'était Sarah Palin, et non pas Tina Fey qui l'imitait à SNL, qui avait dit: «Je peux voir la Russie de ma maison.»

Les humoristes ont une influence indéniable sur l'électorat. Surtout celui conquis d'avance. Il serait étonnant qu'un partisan de Donald Trump le renie parce qu'on s'est moqué de lui à Real Time with Bill Maher ou parce qu'il s'est reconnu, personnifié par Tom Hanks, dans l'hilarant sketch Black Jeopardy de SNL.

L'effort concerté des humoristes aura-t-il une incidence sur le vote des Américains aujourd'hui? Rien n'est moins sûr. Lorne Michaels, le créateur (canadien lui aussi) de Saturday Night Live, ne croit pas que son émission ait le pouvoir de réellement influencer une élection. «Les gens qui adorent Trump me détestent tout autant», a déclaré récemment Alec Baldwin au Washington Post.

John Oliver, qui a rappelé que le patronyme original de Donald Trump était Drumpf (dans la vidéo virale la plus regardée de l'histoire de CNN), préfère croire que «les États-Unis vont rejeter Trump, que notre sens de la décence va s'éveiller comme une sorte de pilote automatique moral». Souhaitons qu'il ait raison. Pour s'éviter de rire jaune-orange.