La musique à tout prix n'est pas qu'un documentaire. C'est aussi, sous le regard aguerri, les questions pertinentes et les indignations justifiées d'Ariane Moffatt, une quête de sens et de vérité.

Le film de Dominique Laurence, dont la musicienne est l'un des porte-étendards avec Louis-Jean Cormier, sera diffusé lundi à 21 h à Télé-Québec, à quelques jours du Gala de l'ADISQ. C'est un portrait condensé de la situation précaire de l'industrie musicale actuelle, aux prises avec un nouveau modèle - l'écoute en continu (streaming) - qui ne garantit pas des revenus dignes de ce nom aux artistes.

«Je fais carrière depuis 15 ans, me rappelle Ariane Moffatt, qui a accepté la proposition de son ami cinéaste lors d'une rencontre au gym. J'ai vécu les transformations de l'industrie depuis mes débuts avec Daniel Bélanger, qui a connu la fin de l'âge d'or des ventes de disques. J'ai vu ma notoriété augmenter d'album en album, et les ventes diminuer chaque fois.»

En 20 ans, les ventes d'albums au Québec sont passées de 18 à 8 millions d'exemplaires. Ariane Moffatt a voulu aller à la source de l'information - «au-delà des phrases toutes faites qu'on répète» - afin de s'interroger sur la crise que traverse l'industrie de la musique. Elle a rencontré tant des artistes établis que des dirigeants de l'industrie, des économistes et des élèves en musique.

On la voit au début du film, en compagnie de Louis-Jean Cormier, retourner au cégep de Saint-Laurent, où tous deux ont étudié à la fin des années 90, à la rencontre d'élèves. «Dans votre temps, on disait que pour faire de l'argent, il fallait avoir son propre projet. Maintenant, on nous dit qu'il faut être de tous les projets», leur dit l'un d'entre eux.

«Aujourd'hui, les jeunes musiciens n'envisagent même pas que leur art puisse être un gagne-pain. C'est un projet auquel ils s'adonnent dans leurs temps libres.»

La musique à tout prix, coscénarisé par Dominique Laurence et Tristan Malavoy (et dont la comédienne Pascale Bussières assure la narration), s'attarde aux conséquences du phénomène de l'écoute en continu, de manière ni simpliste ni manichéenne, mais en ratissant parfois trop large.

Personne ne remet en question les bienfaits de l'écoute en continu pour la diffusion de la musique. Grâce à un service comme Spotify, les mélomanes ont désormais accès à une gigantesque discothèque mondiale, pour une poignée de dollars par mois. Mais qu'en est-il des artistes et de leurs droits?

Pour mieux comprendre ces enjeux complexes, l'équipe du film a fait appel à de très nombreux intervenants et spécialistes (dont mon collègue Alain Brunet). Et à des artistes qui n'ont pas tous le même point de vue, selon leur situation, leurs ambitions ou la génération à laquelle ils appartiennent.

Une chanson en anglais de Charlotte Cardin, ex-candidate de La voix, a été écoutée plus d'un million de fois sur Spotify. Pour elle comme pour le duo Milk & Bone, une telle visibilité sur une plateforme de streaming mondiale constitue une carte de visite exceptionnelle, non seulement au Québec, mais à l'international. Même s'il s'agit d'une source de revenus négligeable.

«Bien sûr que c'est important de se faire connaître et d'investir les médias sociaux, mais certains jeunes artistes se leurrent en oubliant que leur art a une valeur», croit Ariane Moffatt. En conséquence, le cycle professionnel d'un jeune musicien est de plus en plus court. Les artistes deviennent des «produits jetables». Lorsqu'ils réclament d'être rémunérés convenablement, d'autres émergent et sont prêts à prendre leur place pour presque rien.

Dans le documentaire de Télé-Québec, la très talentueuse auteure-compositrice-interprète Salomé Leclerc envisage d'abandonner la musique pour faire une formation de sommelière. «Aujourd'hui, l'équation est différente parce que les ventes de tout un chacun ont été divisées par quatre», constate Jérôme Minière, lauréat de plusieurs Félix, qui peine à subvenir à ses besoins.

Or, beaucoup tirent profit de la musique de ces artistes qui en arrachent. «Je suis en faveur du streaming et de l'accessibilité à la musique, précise Ariane Moffatt. Et je ne crois pas nécessairement que les gens devraient avoir à payer davantage. Mais ceux qui font des profits ne reconnaissent pas que notre musique est un produit d'appel. Ils s'enrichissent sans se responsabiliser.»

Elle fait notamment référence aux fournisseurs d'accès internet, dans la mire de l'ADISQ depuis des années. L'association, qui représente l'industrie du disque et du spectacle, demande aussi à Ottawa de modifier la Loi sur le droit d'auteur afin de rétablir le régime de copie privée - aboli par le gouvernement Harper -, en l'étendant aux ventes d'appareils servant au streaming. Les dirigeants de l'ADISQ ont réclamé il y a quelques semaines une aide de 15 millions à Québec pour faire face à la crise.

«On n'a jamais écouté autant de musique, et on n'a jamais si peu payé pour la musique», constate Monique Simard, présidente de la SODEC, qui rappelle dans le film que les lois, adoptées avant la révolution numérique, ne sont plus adaptées à la réalité actuelle. «La culture au Québec, c'est 4,1 % du PIB. C'est plus que l'exploration minière, l'exploitation forestière et l'agriculture combinées!»

Optimiste ou pessimiste?

Ariane Moffatt ne s'inquiète pas seulement de la détérioration des conditions de travail de ses pairs, mais de l'avenir de la chanson francophone. Sur des plateformes comme Spotify ou Apple Music, où il n'existe pas de quotas de chansons francophones, les contenus québécois sont peu mis en valeur. «Moi, si ce n'était des quotas francophones à la radio, j'aurais eu beaucoup moins de revenus cette année», constate l'auteure de Miami.

Elle voit en revanche d'un bon oeil les consultations sur le numérique menées en ce moment par la ministre du Patrimoine Mélanie Joly. Et entrevoit, au terme de sa participation au documentaire, des pistes de solution: créer des rassemblements d'artistes, favoriser un système économique leur permettant de s'autoproduire et de toucher davantage de subventions au détriment de certains intermédiaires, etc.

En fin de compte, sa quête l'a-t-elle laissée plus optimiste ou plus pessimiste ? Un peu les deux. Optimiste à l'idée que les choses finiront par bouger, dit-elle, mais pessimiste de constater l'influence du lobby du statu quo. «Alors que notre métier est en voie d'extinction, il y a des gens qui roulent avec notre gaz dans leurs gros chars...»

Ce pourrait être le refrain d'une chanson engagée.