On attendait en voiture au feu rouge, à l'angle du parc où ont lieu ses matchs de soccer. Fiston a remarqué trois adolescentes traversant la rue, en chemisier blanc et jupe à carreaux. Il a reconnu l'uniforme du Pensionnat Saint-Nom-de-Marie, réservé exclusivement aux filles.

«Je comprends pas qu'il y ait des écoles juste de filles et des écoles juste de garçons. C'est sexiste...

- Tu trouves? lui ai-je répondu, trouvant le mot «sexiste» un brin exagéré.

- Si on séparait les Noirs et les Blancs dans les écoles, on dirait que c'est raciste. Pourquoi séparer les garçons et les filles, ce serait pas sexiste?»

Bon point, comme on dit au tennis. J'allais lui répondre que son raisonnement était peut-être un peu simpliste, mais je me suis ravisé. Et s'il avait raison dans le fond? On est en 2016, comme dirait un premier ministre qui a fréquenté, jadis, un collège de garçons. Pourquoi accepterait-on comme banale une forme de ségrégation sexuelle héritée d'une époque où les établissements scolaires étaient dirigés par des congrégations religieuses?

Fiston vient d'entrer au secondaire, dans une école mixte, il va sans dire. Les écoles exclusivement pour garçons n'existent presque plus au Québec, comme l'a constaté ma collègue Silvia Galipeau. De plus en plus d'établissements, pour filles et pour garçons, ont pris depuis une décennie le virage de la mixité.

Ce n'est pas moi qui m'en plaindrai. Non seulement «parce qu'on est en 2016», mais parce que l'école, après tout, est un microcosme de la «vraie vie». Et que la vie, ce n'est pas que du français et des mathématiques, ni de la performance sportive ou scolaire. L'école - désolé du cliché -, c'est un laboratoire d'émulation, d'aspiration, d'espoir, de vivre ensemble. Pas de «vivre isolé» dans une bulle avec des gens qui nous ressemblent.

On a longtemps propagé le mythe que les garçons (en particulier) trouvaient plus de motivation, de capacité de concentration - et obtenaient en conséquence de meilleurs résultats scolaires - en étudiant entre eux, à l'écart des filles. Or, nombre de recherches scientifiques démontrent que ce mythe est sans fondements.

Ma collègue Silvia Galipeau cite un bilan de 2014 sur la question de l'American Psychological Association, qui s'appuie sur 184 études concernant 1,6 million d'élèves de 21 pays. Cette méta-analyse atteste qu'il n'y a aucun effet bénéfique à séparer en classe les garçons et les filles. Aucun. Zéro comme dans Ouellette (le nom de mon ancien animateur sportif au collège, que l'on surnommait affectueusement «Wally»).

Je ne peux pas dire que je suis surpris. Si je suis bien franc en fait, j'avouerai que l'une des plus grandes sources de motivation scolaire, lorsque j'étais au secondaire, était justement de côtoyer des filles. J'étais loin d'être le seul.

J'ai beaucoup aimé l'école secondaire, ce qui n'est pas le cas de tous. Mon petit collège était un cadre stimulant, où l'on étudiait, où l'on faisait du sport, où l'on échangeait des idées, où l'on - attention, on sort les violons - vivait des joies et des peines, personnelles et collectives, sans distinction de genre, d'orientation sexuelle, de classe sociale ou d'origine ethnoculturelle. Je ne prétends pas que c'était le paradis ni les Nations unies, mais c'était un milieu de vie à l'image de la société.

On n'y apprenait pas seulement la racine carrée de Pi, mais à vivre ensemble, pour le meilleur et pour le pire. On s'est consolés lorsque, soudainement, à sa première semaine d'école, une élève de première secondaire s'est écroulée dans les casiers, morte d'un arrêt cardiaque. Plusieurs autres, heureusement, n'ont eu que le coeur brisé. Je me suis souvent dit qu'ils avaient au moins eu l'occasion de tomber amoureux.

Disons que je comprends très bien les garçons d'écoles mixtes qui ont confié à Silvia que «c'est plus merveilleux que d'avoir juste des garçons!». Plus merveilleux? «No shit!» qu'on disait dans le West Island de mon adolescence.

À l'époque, je plaignais mes coéquipiers de soccer et de hockey qui fréquentaient Loyola ou Selwyn House - restés à ce jour exclusivement masculins - de devoir faire tous ces efforts pour rencontrer des filles de Sacred Heart ou du collège Sainte-Anne. Alors que nous n'avions qu'à organiser des danses dans le gymnase ou des partys de sous-sol pour se retrouver, filles et garçons confondus. (Une séance de Children of the Corn de Stephen King en VHS dans un bungalow de Laval, ça encourage les rapprochements, comme on dit à Occupation double.)

Certains, nostalgiques, regrettent l'époque où ils ont tissé des liens indélébiles dans des écoles non mixtes. Est-ce que les amitiés sont plus solides parce qu'elles naissent dans des contextes exclusivement masculins ou féminins? Je suis loin d'en être convaincu.

Pendant que son frère fait la ronde des écoles secondaires ces jours-ci, j'observe Fiston s'adapter à la vie de collège, avec tout ce que cela comporte de travail et d'heures d'études. Avec le soccer, la guitare et ses autres activités, où aurait-il le temps de côtoyer des filles si ce n'était dans le cadre scolaire?

Quel intérêt aurait-il à se passer de fréquenter quotidiennement celles qui forment l'autre moitié de l'humanité? À ne pas prendre connaissance de points de vue différents, de manières féminines d'appréhender la société et l'adolescence?

En formant jusqu'à récemment l'élite dans certains collèges réservés aux garçons, tout en encourageant la formation de boys clubs qui pourraient réseauter plus tard dans le milieu du travail, ne participait-on pas à une forme insidieuse de sexisme? Je vais poser la question à Fiston...