Le contraste est plus saisissant que jamais. Alors que le Festival des films du monde peine à trouver des salles et à attirer des cinéastes de renom pour son 40anniversaire, le Festival international du film de Toronto, d'un an son aîné, propose une programmation rien de moins que gargantuesque.

Difficile de croire qu'à une autre époque, pourtant pas si lointaine, c'est Toronto (et son Festival of Festivals) qui enviait à Montréal son influence, ses premières nord-américaines et ses maîtres du septième art.

Alors que le FFM s'est transformé en boulet gênant pour la réputation de Montréal sur l'échiquier mondial, le TIFF - l'acronyme du festival torontois depuis 1994 - est devenu un joyau de la Ville Reine. Ainsi que l'un des quatre grands rendez-vous cinématographiques de la planète, avec Cannes, Berlin et Venise.

On consulte la programmation du TIFF, qui commence jeudi prochain, et on ne sait où donner de la tête. Ce n'est pas qu'une figure de style.

Il y a 20 ans, on pouvait encore se rendre au Festival de Toronto sans s'arracher les cheveux ni craindre de tout rater (le fameux FOMO ou fear of missing out). Le choix cornélien entre un entretien avec un cinéaste légendaire, une classe de maître avec une star hollywoodienne et la première mondiale d'un film très attendu ne se posait pas.

Ce n'est plus le cas. L'offre de films et d'événements connexes est à ce point abondante que le festivalier est contraint de choisir, un vendredi midi, entre les nouveaux films de Denis Villeneuve, Kim Nguyen, François Ozon, Bertrand Bonello, Maren Ade, Terrence Malick, Kim Ki-duk ou Ulrich Seidl parce qu'ils seront tous présentés quasi en même temps (authentique). Et ce n'est pas faute de salles...

Il n'a peut-être pas une «cote A» de festival compétitif comme le FFM - que la direction montréalaise décrivait il y a une décennie comme une «gimmick publicitaire» -, mais le TIFF donne plus que tout autre événement, depuis le tournant du millénaire, le coup d'envoi officieux de la «saison des prix» (Oscars, Golden Globes, etc.).

J'y étais en 1999 lorsque American Beauty de Sam Mendes a remporté le Prix du public (le TIFF est, pour l'essentiel, non compétitif). Depuis, neuf autres longs métrages présentés à Toronto ont dans la foulée remporté l'Oscar du meilleur film: Crash, No Country for Old Men, Slumdog Millionaire, The Hurt Locker, The King's Speech, The Artist, Argo, 12 Years a Slave et Spotlight (avant 1999, seul Chariots of Fire figurait dans cette liste).

Passage obligé pour les productions qui aspirent aux plus importants lauriers hollywoodiens, le Festival de Toronto attire non seulement la presse internationale (qui a depuis longtemps déserté le FFM), mais quantité de relationnistes cherchant à mettre des oeuvres en lumière.

Si bien qu'à l'approche de l'événement, un journaliste accrédité est littéralement bombardé de propositions d'entrevues et de projections. Joli problème.

J'essaie tant bien que mal, depuis quelques jours, d'y voir clair dans ce casse-tête logistique. Je ne veux pas rater le nouveau film de Xavier Dolan ni Toni Erdmann de l'Allemande Maren Ade, chouchou de la presse internationale. American Honey d'Andrea Arnold et Elle de Paul Verhoeven sont dans ma ligne de mire. Mais je n'aurai sans doute pas le temps de rattraper les autres titres acclamés à Cannes, signés Ken Loach, Jim Jarmusch ou Pedro Almodovar.

Le TIFF multiplie aussi les premières mondiales: le film d'ouverture d'Antoine Fuqua, The Magnificent Seven, «remake du remake» des Sept samouraïs de Kurosawa; Snowden d'Oliver Stone, sur l'ancien agent du CIA du même nom; le premier long métrage du comédien Ewan McGregor, American Pastoral, d'après le grand roman de Philip Roth, etc.

On peut donc voir à Toronto bien des oeuvres célébrées ailleurs, comme L'avenir de Mia Hansen-Love, Ours d'argent à la dernière Berlinale, ou encore Arrival de Denis Villeneuve, qui fera un détour par Telluride après sa première mondiale de jeudi à la Mostra de Venise.

Parmi les titres qui nourrissent le plus de buzz en prévision des Oscars, on en compte deux présentés au dernier Festival de Sundance: Manchester by the Sea de Kenneth Lonergan, mettant en vedette Casey Affleck dans le rôle d'un homme à la dérive rattrapé par son passé, et The Birth of a Nation de l'auteur, acteur, cinéaste et producteur Nate Parker.

Étonnamment, ce n'est pas en raison de son sujet délicat - l'esclavage aux États-Unis - que The Birth of a Nation défraie la chronique depuis une semaine, mais parce qu'ont été révélées des accusations de viol contre Parker et son coscénariste, à l'époque où ils étaient étudiants à l'université, à la fin des années 90. Tous deux ont été innocentés, mais leur accusatrice s'est suicidée en 2012. Plusieurs se demandent si cela n'aura pas un effet dissuasif sur les électeurs de l'Académie.

Le TIFF, contrairement au cliché perpétué par ses détracteurs, n'est pas seulement une rampe de lancement d'aspirants candidats aux Oscars ni une foire commerciale multipliant les entrevues à la chaîne (même s'il est aussi cela). Le Festival est un banquet pour cinéphiles intéressés par ce qui se fait de mieux sur la planète. Et, depuis quelques années, le rendez-vous privilégié par nombre de cinéastes québécois afin de faire connaître leurs oeuvres en Amérique du Nord. Encore une fois, au détriment du FFM.

C'est donc à Toronto, et pas à Montréal, que l'on pourra découvrir du 8 au 18 septembre Pays de Chloé Robichaud et Nelly d'Anne Émond (sur Nelly Arcan). Ainsi que le très intrigant Ceux qui font les révolutions à moitié n'ont fait que se creuser un tombeau de Mathieu Denis et Simon Lavoie (Laurentie), que le directeur du TIFF, Piers Handling, annonce comme le film le plus controversé et provocateur de son Festival. Bien hâte de voir tout ça et de vous en rendre compte.