Le film commence par un plan-séquence en compagnie d'un comédien qui se rend d'une scène à un bar, en passant par une ruelle et les coulisses d'un théâtre. On pense inévitablement à Birdman d'Alejandro González Iñárritu. Puis l'action se poursuit dans une campagne isolée, en plein hiver, où un revirement rocambolesque n'attend pas l'autre.

En voyant Les mauvaises herbes, comédie irrévérencieuse de Louis Bélanger, coscénarisée avec son complice Alexis Martin, j'ai pensé à Fargo des frères Coen. À cet état d'esprit, à cet humour noir, tragicomique, que l'on retrouve si peu au cinéma québécois. Il est pourtant très présent sur scène, dans le théâtre des jeunes créateurs. Il se trouve dans les séries web et même à la télévision - dans la brillantissime Série noire notamment -, mais le cinéma québécois boude pour l'essentiel ce plaisir.

Jacques, un acteur de théâtre incarné par Alexis Martin, est un joueur compulsif, abonné aux machines de loterie vidéo, qui doit d'importantes sommes à un prêteur sur gages (Luc Picard). Fuyant l'usurier en habits de scène (ceux du Misanthrope), il aboutit par hasard dans une ferme isolée, où Simon (Gilles Renaud), lui-même misanthrope, fait pousser du cannabis aux fins de contrebande, en rêvant d'acheter une terre à bois à son fils.

Jacques devient malgré lui, en échange de son «hospitalité», son esclave-jardinier, tout comme Francesca (Emmanuelle Lussier-Martinez), une employée d'Hydro-Nord délurée et égarée sur son terrain privé, qui prend elle aussi goût à sa captivité.

Les mauvaises herbes marque un retour en force au long métrage pour Louis Bélanger, six ans après Route 132 et 13 ans après le magistral Gaz Bar Blues, et creuse davantage le sillon de la thématique des amitiés masculines. 

Si le récit s'essouffle un peu en fin de parcours, en perdant ce côté grinçant pour verser dans le doux-amer, le film du tandem Bélanger-Martin reste drôle et spirituel. Ne serait-ce que parce qu'il s'éloigne du registre plus sombre, dramatique et introspectif, trop souvent le lot du cinéma québécois récent, il s'apprécie comme une bouffée d'air frais dans notre paysage cinématographique actuel.

À sept jours du Gala du cinéma québécois, alias l'ex-Soirée des Jutra en attente d'un nom moins controversé - Philippe Falardeau propose Les bélugas, en hommage à Pierre Perrault -, on cherche partout des pistes de solution afin d'intéresser davantage le public au cinéma québécois.

De la quarantaine de longs métrages de fiction québécois ayant pris l'affiche l'an dernier, seulement le quart ont été vus par plus de 10 000 personnes. L'un des candidats au prix du meilleur film, le troublant Les démons de Philippe Lesage - qui traite notamment de pédophilie - n'a été vu que par 1500 cinéphiles. Il a pourtant remporté le prix Luc-Perreault du meilleur film québécois de l'année, décerné il y a quelques semaines par l'Association des critiques de cinéma du Québec (ACCQ). Exemple s'il en faut du canyon qui sépare, ici comme ailleurs, la critique du grand public.

Tout n'est pas noir, bien sûr. Le cinéma québécois a tout de même atteint 7,2 % de parts de marché l'an dernier, comparativement à 5,9 % en 2014. 

Quatre films québécois ont dépassé le fameux cap du million de dollars aux guichets en 2015: 

La guerre des tuques 3D

Le mirage

La passion d'Augustine

Paul à Québec 

Mais si la dernière année a marqué une embellie au chapitre de la fréquentation, avec les meilleurs résultats depuis 2011, la lune de miel du cinéma québécois avec son public reste un souvenir du milieu des années 2000.

Aujourd'hui, la plupart des films québécois ne tiennent l'affiche que quelques semaines en salle, pour être aussitôt sacrifiés sur l'autel de la performance aux guichets face à la concurrence imparable du Goliath hollywoodien. Les problèmes de diffusion et de distribution sont bien réels, notamment à l'extérieur de la région montréalaise. Et la disparition récente des trois salles du complexe Excentris ne fera rien, à court et à moyen terme, pour améliorer les choses.

Sans effort concerté des institutions, des distributeurs et des propriétaires de salles, le cinéma québécois, en particulier le cinéma d'auteur québécois, n'aura bientôt plus d'espace digne de ce nom sur les écrans pour se mettre en valeur, même de manière minimale. On ne peut certainement pas compter sur l'industrie pour s'autoréguler et assurer une visibilité à nos films. L'inimitable Vincent Guzzo, propriétaire des salles du même nom, me confiait récemment sur Twitter qu'il n'était pas intéressé à regarder le Gala du cinéma québécois, le 20 mars.

Évidemment, quand les choses tournent au vinaigre, chacun se renvoie la balle. On jette le blâme sur son prochain, on jette le blâme sur l'oeuf ou encore la poule, mais on jette rarement le blâme sur soi-même. On peut bien accuser l'offre gargantuesque de services numériques, tel Netflix, qui proposent au public, dans le confort de leur salon, une panoplie de films en tous genres (mais bien peu de films d'ici): cela n'améliorera pas le sort du cinéma québécois.

Il n'est plus temps d'accuser tout un chacun, mais bien d'agir et de réagir. Certes, il faut savourer les embellies quand elles surviennent et s'en servir comme tremplin pour donner une impulsion et créer un effet d'entraînement. Le cinéma québécois a encore la chance de profiter d'une vitrine pour se faire valoir auprès du grand public (peu importe le nom que cette vitrine portera à l'avenir).

Ce n'est malheureusement pas suffisant. Chacun doit mettre la main à la pâte. À commencer par les cinéastes et les scénaristes, à qui il incombe de surprendre et de séduire, avec des films forts, riches, originaux. Nos films le sont déjà. Ils pourraient l'être davantage.