Il n'a pas longtemps tourné autour du pot. Il s'est même plongé les mains dedans, sans retenue. Certains craignaient que la controverse autour du manque de diversité parmi les finalistes ne fasse planer un malaise sur la 88e soirée des Oscars. Mais il n'y a rien comme une bonne dose d'humour pour crever un abcès.

L'humoriste Chris Rock, de retour à la barre de la soirée strass et paillettes du cinéma hollywoodien pour la deuxième fois (il en était aussi l'animateur en 2005), n'a pas éludé la polémique #OscarsSoWhite hier soir. Bien au contraire. Comme prévu, il s'est attaqué d'emblée à l'éléphant (blanc) dans la pièce, au cours d'un monologue d'ouverture fort grinçant, consacré presque exclusivement à la controverse.

«Bienvenue aux Oscars, aussi connus sous le nom des White People's Choice Awards. Vous réalisez que s'ils sélectionnaient les animateurs, je n'aurais jamais eu ce job. Vous regarderiez Neil Patrick Harris en ce moment!» - L'animateur Chris Rock, au début de son monologue

Le malaise était palpable à Hollywood depuis le dévoilement, le 14 janvier, des finalistes à la soirée des Oscars. Parmi les 20 acteurs retenus dans les quatre catégories d'interprétation, on n'en comptait aucun issu d'une minorité ethnoculturelle, pour la deuxième année consécutive.

Il y a quelques semaines, Chris Rock avait rebaptisé les Oscars les «prix BET blancs», en référence au gala récompensant exclusivement des artistes afro-américains. Sur la scène du théâtre Dolby, dimanche, il a rapidement tourné la controverse en dérision. «Pourquoi proteste-t-on cette fois-ci? Ce sont les 88e Academy Awards. Cette histoire d'absence de finalistes noirs s'est produite au moins 71 autres fois!» a-t-il déclaré.

«Pourquoi n'a-t-on pas protesté plus tôt? a ajouté l'animateur, particulièrement en verve. Parce qu'on avait de vraies choses à contester à l'époque! On était trop occupés à être violés et lynchés pour s'intéresser au prix de la meilleure direction photo. Quand le corps de ta grand-mère pend d'un arbre, c'est difficile de t'intéresser au meilleur court métrage étranger!» Ayoye.

Ces commentaires caustiques ne sont pas passés inaperçus sur les réseaux sociaux, qui se sont aussitôt enflammés. Rock a enchaîné en qualifiant le film Creed - «Je préfère dire le Rocky noir» - de film de science-fiction parce que les athlètes blancs y sont présentés comme étant aussi forts que les athlètes noirs. «Il y a des choses plus crédibles dans Star Wars

L'animateur n'a épargné personne. Il s'est aussi moqué de Will Smith et de sa femme Jada Pinkett Smith, qui ont choisi de boycotter la soirée. 

«C'est juste une émission de télévision! Jada qui boycotte, c'est comme moi qui boycotte les petites culottes de Rihanna. Je n'y ai pas été invité!»

Parmi les autres absents de la soirée, on comptait les cinéastes Ava DuVernay (Selma), Ryan Coogler (Creed) et Spike Lee, qui ont tous fait savoir qu'ils avaient mieux à faire. Ava DuVernay et Ryan Coogler participaient à un événement caritatif afin de venir en aide aux victimes du scandale de l'eau contaminée à Flint, au Michigan. Spike Lee, selon des sources très peu crédibles, devait se laver les cheveux...

«Dans la rubrique in memoriam, a annoncé Chris Rock, toujours aussi ironique, il n'y aura ce soir que des Noirs qui ont été tués par des policiers en route vers le cinéma.» Grinçant, disais-je. Est-ce que Hollywood est raciste? a-t-il demandé de but en blanc de manière rhétorique. «Bien sûr que Hollywood est raciste! Mais raciste comme dans un club d'étudiantes: on t'aime, Rhonda, mais t'es pas une Kappa!»

«On veut l'égalité des chances pour les acteurs noirs. Et pas juste une fois!» a résumé l'animateur sur un ton plus sérieux, avant de s'intégrer dans certaines scènes des films finalistes à l'Oscar du meilleur long métrage en compagnie d'autres comédiens noirs (Tracy Morgan, Whoopi Goldberg).

Chris Rock s'est du reste rendu dans un cinéma de Compton, quartier «chaud» de Los Angeles, pour demander à des clients - presque tous noirs - ce qu'ils pensaient de la controverse #OscarsSoWhite et des films en lice pour un prix. Ils n'avaient pour la plupart vu que Straight Outta Compton, snobé par l'Académie. «Ce trophée ne devrait pas seulement être blanc, mais noir, asiatique, hispanique, a déclaré l'un d'entre eux. Il y a tellement de talent, peu importe les origines raciales.»

«Espérons qu'un jour, la couleur de notre peau soit aussi banale que la longueur de nos cheveux», a déclaré le cinéaste mexicain Alejandro González Iñárritu, au moment de cueillir son deuxième Oscar consécutif de la meilleure réalisation, pour The Revenant.

L'Académie, bien entendu, ne compte pas en rester là. Sa présidente Cheryl Isaacs, elle-même Afro-Américaine, a rappelé dimanche, en citant notamment Martin Luther King, son intention de mettre en oeuvre des mesures afin de doubler d'ici 2020 le nombre de femmes et de personnes issues de minorités visibles parmi ses membres. L'Académie, qui compte 6000 membres dont l'âge moyen est de 62 ans, se compose actuellement à 70 % d'hommes et à 94 % de Blancs (et seulement à 2 % de Noirs).

L'humoriste afro-américain Kevin Hart a lui aussi donné son avis sur la polémique du moment, à mi-parcours de la soirée. «J'aimerais applaudir tous les acteurs et actrices de couleur qui n'ont pas été sélectionnés parmi les finalistes», a-t-il déclaré, avant de présenter le chanteur torontois The Weeknd, qui a interprété une pièce de Fifty Shades of Grey - le navet de l'année - accompagné de danseuses aux déhanchements pseudo-érotiques.

C'était une prestation musicale moins chancelante que celle, égarée dans les suraigus, de Sam Smith pour Writing's on the Wall, chanson-thème de Spectre, le plus récent James Bond. Pour tout avouer, j'avais l'impression qu'on égorgeait un chat sur scène... Smith a néanmoins remporté l'Oscar et a remercié la communauté LGBT.

Beaucoup plus réussie était la performance sobre de Dave Grohl chantant Blackbird de Paul McCartney en s'accompagnant à la guitare, pendant que défilaient à l'écran l'image des grands disparus de l'année (parmi lesquels David Bowie, Wes Craven et Chantal Ackerman). Mais c'est Lady Gaga qui a sans doute livré le plus vibrant moment d'émotion de la soirée, en se présentant sur scène accompagnée de victimes d'agressions sexuelles pour chanter Til It Happens to You, après avoir été présentée par «son ami» le vice-président Joe Biden.

«Pourquoi n'y a-t-il pas d'Oscar pour les petites personnes jaunes avec des petites bites? Je veux dire les Minions», a lancé l'humoriste Sacha Baron Cohen, dans son personnage abruti d'Ali G, avant de saluer d'un poing levé, ganté de noir (façon Smith et Carlos protestant aux J.O. de Mexico en 68), le «Noir» de Star Wars: Darth Vader. Décidément, cette soirée avait une thématique et un ton, celui de l'humour noir (s'cusez-la).

«Beaucoup de gens se plaignent que la soirée des Oscars est trop courte et qu'on ne remet pas assez de prix», a quant à lui ironisé le comédien Jason Segel. On a connu des galas plus ennuyeux, mais il faut admettre que 24 catégories, c'est beaucoup. On se plaît à imaginer une cérémonie sans les catégories du montage sonore, du maquillage et de la coiffure, du design de costumes, etc.

Oui, tous ces métiers sont essentiels au cinéma. Non, la soirée des Oscars n'est pas un congrès de professionnels, mais bien une émission de télévision, dont les cotes d'écoute sont en déclin depuis une décennie. Controverse ou pas, humour grinçant ou pas, on ne s'en étonne pas outre mesure...