On ne s'était pas parlé depuis 30 ans. Jean-Robert Drouillard s'est imposé dans le milieu des arts visuels québécois grâce à ses sculptures grandeur nature de personnages à têtes d'animaux. Un ado avec des oreilles de lapin, un homme avec un panache d'orignal, une femme avec une tête de renard. De l'art à la lisière de l'actuel et du traditionnel, poétique et énigmatique, qui ne laisse pas indifférent.

Jean-Robert Drouillard est mon cousin. On s'est perdus de vue lorsque j'ai quitté mon Gaspé natal, durant l'enfance. La seule photo que je connais de nous a été prise dans un parc de Montréal, il y a 35 ans. J'avais 14 ans lorsque je l'ai vu la dernière fois, dans une fête de famille. Depuis cinq ans, j'observe à distance son émergence tardive dans une discipline qu'il a choisie à 27 ans, en retournant aux études à l'École-atelier de sculpture de Québec (il travaillait à l'époque comme serveur dans un restaurant, après des études en littérature à l'Université Laval).

Ses oeuvres font partie notamment des collections du Musée national des beaux-arts du Québec, de la Ville de Québec et de la Ville de Montréal. Une de ses sculptures se trouve, au côté d'une peinture de Marc Séguin, dans le loft de l'émission Formule Diaz, qui lui a consacré un reportage. La Fabrique culturelle de Télé-Québec s'est intéressée à son travail, comme mon collègue Éric Clément. Bref, il n'a pas besoin d'un cousin chroniqueur qu'il ne connaît plus pour donner un coup de pouce à sa carrière florissante.

Plus jeune, il avait les cheveux frisés comme Charlebois et on l'appelait juste Robert. C'est d'ailleurs le nom de son groupe de musique, Juste Robert, dont le premier album doit paraître au printemps. Il s'est réapproprié son nom de baptistaire au tournant de la vingtaine, lassé de se faire surnommer «Bob». Il s'est souvent réinventé. Avant l'âge de 27 ans, il n'avait jamais rien créé de ses mains. Avant celui de 35 ans, il n'avait jamais joué de la guitare. À 45 ans, il est l'un des «nouveaux» sculpteurs les plus en vue du Québec et le leader d'un band de rock atmosphérique de la «relève»...

«Je me considère surtout comme un artisan en arts visuels qui fait de l'art populaire», me dit Jean-Robert, formé à la sculpture grâce à une technique traditionnelle, tirée des métiers d'art, dont il se sert dans ses installations d'art contemporain. «Je répète toujours les mêmes gestes. Je me rends tous les matins à l'atelier pour créer des personnages en bois.»

L'iconographie qu'il a développée dans son atelier de Limoilou, Le Bloc 5 - une coop qu'il a fondée en 2002 avec quatre autres artistes -, s'est progressivement imposée dans le milieu des arts visuels québécois. Ses personnages sont inspirés à la fois de sa vie de famille (lui-même, sa femme et leurs deux fils lui servent de modèles) et de références littéraires liées à l'univers des contes, fables et légendes.

Ses oeuvres, fortes d'une «présence» et d'une «part d'ambiguïté», de son propre aveu, ne sont pas au goût de tous et suscitent parfois de vives réactions. Il a eu maille à partir il y a quelques années avec l'administration Labeaume, à propos de projets d'art public à Québec. Son autoportrait avec un panache d'orignal, installé à Gaspé près de la maison où il a grandi, a soulevé l'ire de Gaspésiens et un déferlement de commentaires négatifs sur les réseaux sociaux, l'an dernier. «Je joue dans les archétypes, dit-il, philosophe. La figuration, ça ne plaît pas à tout le monde!»

Il s'est déjà inspiré de personnages d'Alice au pays des merveilles et du Petit prince. Son plus récent projet, un triptyque intitulé Trois Cédric, deux corbeaux et un renard, renvoie à la fameuse fable de La Fontaine (l'un de ses fils se prénomme Cédric). L'oeuvre a été sculptée à même les troncs de trois peupliers deltoïdes de 80 ans, de la famille des trembles, coupés il y a un an pour cause de maladie dans le parc du Bout-de-l'Île, littéralement à la pointe de Pointe-aux-Trembles, à l'extrémité est de l'île de Montréal.

L'idée d'une oeuvre d'art public sur ce site a été proposée par une citoyenne, et c'est Julie Jacob, agente culturelle de l'arrondissement, qui a suggéré qu'elle soit réalisée par Jean-Robert Drouillard. «J'ai eu un coup de coeur pour ses oeuvres il y a deux ans. J'aime leur côté théâtral et ludique», m'a-t-elle confié, en me faisant visiter le parc.

Dans ce lieu symbolique, au confluent du fleuve et de la rivière des Prairies, Jean-Robert Drouillard a sculpté directement dans les arbres, en taille directe, par des matins frisquets d'octobre, pendant plus de deux semaines, sous le regard curieux et amusé des passants, résidants et enfants de l'école primaire voisine.

C'est presque devenu un projet de médiation culturelle, dit-il, et certainement le projet d'art public le plus «public» qu'il ait jamais réalisé. «Je n'avais pas vraiment imaginé que les gens viendraient me parler. Mais en travaillant sur place, j'ai eu des dizaines de conversations avec les gens. Certains étaient intrigués, d'autres trouvaient ça beau, mais ne comprenaient pas ce que ces sculptures faisaient dans leur parc. On m'a même invité à prendre un verre. J'ai adoré ça!»

Sur ces gros troncs d'arbres, socles sur lesquels sont juchées deux sculptures d'enfants à têtes de corbeaux et une autre à tête de renard, Jean-Robert a gravé les phrases «Love-toi», «Lève-toi» et «Grave-moi». Deux jeunes l'ont déjà pris au mot, en inscrivant leurs prénoms dans le bois. Ça leur fera un souvenir à raconter dans 30 ans.