Les campagnes électorales offrent d'ordinaire bien de la matière inspirante aux humoristes. Parlez-en à Jean-René Dufort, qui devra faire son deuil d'une campagne qui a nourri son émission Infoman de perles en tous genres ces dernières semaines.

John Oliver pratique un humour satirique à forte dose politique, qui s'apparente dans son esprit à celui de notre Infoman national. Son talk-show Last Week Tonight, diffusé sur la chaîne câblée HBO, est une sorte d'excroissance du Daily Show, où il s'est fait connaître comme «correspondant», à l'instar de Stephen Colbert, aux côtés de Jon Stewart.

Dimanche soir, Oliver s'est fendu d'un hilarant bilan électoral canadien, en bravant une interdiction prévue à la loi électorale canadienne qui pourrait théoriquement lui coûter jusqu'à 5000$ et six mois de prison. Pour l'amateur d'émissions satiriques que je suis, le risque en valait largement le «coût».

Il est toujours intéressant de constater le regard que posent des analystes étrangers sur notre paysage politique. De grands quotidiens tels que le New York Times et le Guardian de Londres ont publié, le week-end dernier, leur bilan de la campagne électorale canadienne. Mais il n'y a rien comme les transgressions d'un humoriste pour exprimer ce qu'un journaliste dûment accrédité ne peut même pas laisser entendre entre les lignes.

L'entrevue de John Oliver avec Edward Snowden, diffusée le printemps dernier et accessible sur YouTube, est à ce titre une pièce d'anthologie pour quiconque s'intéresse à la liberté d'expression et au respect de la vie privée.

Dimanche, l'humoriste pince-sans-rire avait dans sa ligne de mire les principaux candidats des élections d'hier soir (Gilles Duceppe a échappé à son pot-pourri). «Penser que 78 jours est une longue campagne est absolument adorable! a déclaré Oliver, en raillant ceux qui ont trouvé cette campagne interminable. C'est comme une femme qui voit un pénis pour la première fois et qui décrète qu'il n'en existe pas de plus gros!»

Aux États-Unis, candidats républicains et démocrates font les manchettes des journaux quotidiennement et débattent à la télévision sur les principaux réseaux à heure de grande écoute... plus d'un an avant l'élection présidentielle. Au Canada anglais, en raison du refus de l'entourage de Stephen Harper, aucun débat n'a été télédiffusé sur les principales chaînes, CBC, CTV et Global.

En parlant du Canada et de ses candidats, John Oliver n'a pas fait de quartier. Il s'est moqué des jeux de mots simplistes de Tom Mulcair et du manque d'envergure intellectuelle de Justin Trudeau (en montrant des images de sa cascade dans un escalier aux Francs-tireurs, devant le camarade Patrick Lagacé). Mais c'est avec le premier ministre sortant Stephen Harper qu'il a été le plus impitoyable.

«Ne soyez pas dupés par son apparence terne. Où il y a de la banalité, il y a le mal!», déclare Oliver, en faisant son propre bilan du gouvernement Harper en matière de protection de l'environnement, d'accès aux soins de santé pour les réfugiés et de légalisation de la marijuana (que le chef conservateur considère «infiniment plus nuisible à la santé que le tabac», ce à quoi John Oliver rétorque: «Es-tu gelé?»).

Le reste est à l'avenant. «La tendance la plus hideuse de Harper est de flatter les islamophobes», conclut l'humoriste en évoquant notamment le récent débat sur le niqab. «Si la fille de Stephen Harper se couvre le visage, c'est probablement parce qu'elle ne veut pas, de manière tout à fait compréhensible, être vue en public avec Stephen "Fucking" Harper!» Pas de demi-mesure.

Il faut dire qu'à New York, melting-pot de nations unies où l'émission de John Oliver est tournée, j'ai vu à Times Square une femme en niqab croiser Mickey Mouse et Elmo, eux aussi le visage couvert, sans que personne ne se retourne sur son passage. J'ai aussi vu un vendeur de grillades halal faire sa prière de 16h sur un tapis déroulé près de sa cantine ambulante, sans susciter la moindre polémique. À chaque culture sa perception du vivre et laisser vivre.

«Si tout ça n'était pas assez pour vous faire haïr Stephen Harper, il y a aussi le fait qu'il joue dans un très, très mauvais groupe», ajoute John Oliver, en appuyant son propos par un extrait où le chef conservateur «massacre» une chanson de Neil Diamond, Sweet Caroline. On aurait préféré la version de Quand le soleil dit bonjour aux montagnes du PM chez Éric Salvail, avec sa voix de fausset des jeunesses chrétiennes.

Lui s'en soucie assez pour enfreindre une loi stipulant qu'il est interdit d'inciter quiconque à voter ou à ne pas voter pour un candidat à une élection canadienne si l'on ne réside pas au Canada, sous peine d'une amende de 5000$ et/ou de six mois de prison.

Un article de la loi parfaitement ridicule, comme l'a souligné avec raison l'humoriste, lui-même d'origine britannique. Il a enjoint du même souffle les Canadiens à ne pas voter pour Stephen Harper, flanqué d'une mascotte de castor jouant Sweet Caroline au synthétiseur et d'un orignal en pleine colonoscopie subventionnée par l'État. Pur délire.

Pourquoi ne faut-il pas voter pour Stephen Harper? «Parce qu'il n'aime pas les Noirs!» répond John Oliver à un Mike Myers médusé, arrivant sur le plateau déguisé en agent de la GRC au volant d'un chasse-neige. Une référence à une diatribe télévisée de Kanye West contre George W. Bush, après l'ouragan Katrina, à laquelle avait assisté bouche bée l'interprète torontois d'Austin Powers.

«Je veux plutôt dire: Stephen Harper n'aime pas les musulmans!» se reprend John Oliver. «Il a été assez clair là-dessus!» acquiesce Mike Myers. Et les deux humoristes de faire pleuvoir devant la caméra des dizaines de billets de 20$ canadiens. Un bilan de campagne comme celui-là, ça n'a pas de prix.