Appelons ça le #SacDePatatesGate. Avec ce dièse bien de son époque et ce suffixe galvaudé, qui me fait rire tellement on le sert à toutes les sauces. Tous ces hurluberlus militants de la pomme de terre du terroir (avec sauce brune et crottes de fromage) ayant voté par anticipation avec un sac de papier sur la tête m'ont bien fait rire aussi.

Adib Alkhalidey, en se levant samedi matin, a eu la même réaction que moi et bien d'autres. Et comme plusieurs de ses confrères humoristes, ce contexte électoral loufoque lui a inspiré une boutade. À ses 50 000 «amis» sur Facebook, il a écrit ceci: «À tous ceux qui s'mettent des sacs de patates sur la tête pour voter. Mettez-vous-en aussi sur la bite ou sur celle de votre partenaire sexuel lors de vos prochains ébats afin de préserver l'humanité de votre potentielle progéniture. Merci. La direction.»

Il a découvert qu'ils n'étaient pas tous ses «amis». Est-ce le mot «bite» qui les a choqués? Toujours est-il que le jeune humoriste au cheveu hirsute, dont le premier spectacle bon enfant s'intitulait Je t'aime, a été la cible d'un déferlement haineux sur sa page Facebook. Bien des «J'aime», mais aussi des centaines de «J'aime pas pantoute», explicités au vitriol, qui l'ont pris de court pendant qu'il mangeait ses toasts aux cretons. Mettons.

Des «Retourne dans ton pays» peu amènes, des menaces concrètes à son intégrité physique et autres compliments du genre. Des commentaires islamophobes tout à fait dans le ton du célèbre sketch du Bye Bye de RBO, Héroutyville: «C'est pas un étrange qui va venir changer nos hébétudes à moé, ma soeur pis nos enfants!»

«C'est sûr que ça m'a déplu de recevoir des menaces de violence, dit-il, attablé dans un café du Vieux-Montréal. Il y a eu beaucoup de «Je vais te péter la gueule si je te croise dans la rue». Ce qui est ironique, c'est que c'est aussi une forme de terrorisme. C'est très intégriste comme façon de penser. Ces gens reproduisent ce qui leur fait peur. À mon avis, ils s'entendraient beaucoup mieux qu'ils ne le croient avec des radicaux enfermés dans leurs certitudes religieuses. Personne ne mérite de se faire dire: «Ta gueule, sinon je te bats!» »

Ce jeune homme brillant, manifestement pacifique, a répondu à ses détracteurs sur Facebook, en publiant une longue lettre. «Je ne me suis pas excusé. J'ai précisé ma pensée pour les gens qui ne me connaissent pas.» Il persiste et signe donc. Et même s'il dort mal depuis le week-end, il refuse de se camper en victime. C'est moi qui l'ai sollicité et convaincu de me parler, après qu'il eut refusé quantité d'entrevues. «Je n'ai pas envie d'ajouter de l'huile sur le feu ni de me faire du capital de sympathie sur le dos d'une controverse.»

Je tenais à lui en parler. Parce que cet épisode illustre à mon sens un «deux poids, deux mesures» flagrant dans notre défense de la liberté d'expression. Il y a d'un côté ce que peut se permettre l'humoriste blanc de «souche» franco-québécoise, et de l'autre, ce que l'on tolère d'un humoriste arabe ou musulman.

#JeSuisCharlieSaufPourTaSaleGueuledIslam...

«Dans ma vie, j'ai vécu plein de racisme, me raconte Alkhalidey, né à Ouarzazate, aux portes du désert marocain, et élevé dès l'âge de 8 mois à Saint-Laurent. Mais je n'en ai jamais connu autant et de manière aussi concentrée. C'est une blague qui a servi de véhicule à un certain mépris latent. Comme si le mépris quêtait un lift et qu'il était tombé sur un autobus vide. Go! On embarque. Il y a de la place. J'ai l'image du métro japonais bondé en tête, avec le gars qui pousse les gens à l'intérieur.»

Il convient qu'il y a beaucoup d'ignorance et de peur qui s'exprime dans le tsunami fielleux engendré par cette blague qu'il croyait, à tort, sans conséquence. «On m'a dit que ces électeurs masqués faisaient de l'humour. Ils ont surtout peur je crois que le niqab se multiplie tout à coup et finisse par être porté par un million de femmes chez nous. Je ne pense pas que la peur soit un très bon moteur pour la réflexion.»

En aucun cas, tient-il à préciser, sous-estime-t-il l'oppression vécue par certaines femmes victimes de radicaux obscurantistes. «Le problème, dit-il, c'est d'occulter le fait qu'il y a une majorité de gens religieux qui vivent leur vie de façon normale. De constamment prendre des cas isolés pour en faire des exemples, je trouve ça dangereux.»

Le père d'Adib Alkhalidey, un ancien professeur de littérature arabe et dissident irakien, a fui le régime de Saddam Hussein parce qu'il craignait pour sa vie. Il a rencontré la mère d'Adib au Maroc avant de s'installer au Québec. «J'ai travaillé fort pour avoir ma tribune, dit l'humoriste, conscient de la responsabilité qui s'y rattache. J'ai fait des sacrifices. J'ai déçu ma famille, j'ai dû déménager et rebâtir mon lien avec mes parents qui étaient tristes que je n'aille pas à l'université (il est diplômé de l'École de l'humour). Je vais faire des erreurs. Mais je n'accepte pas qu'on me dise de me taire.»

Se désole-t-il de l'image stéréotypée que l'on se fait de l'Arabe en Occident depuis le 11-Septembre? «Oui, ça me dérange qu'au Québec, chaque fois ou presque qu'on parle des Arabes, c'est en mal. On est indifférent au sort de ces gens et de ces communautés. L'indifférence, pour moi, c'est une des pires formes d'injustice. Quand tu n'existes pas, c'est difficile de te sentir comme un citoyen qui a sa place dans la société.»

Adib Alkhalidey, qui a grandi dans un quartier multiethnique en compagnie de chrétiens, de musulmans, d'hindous, de bouddhistes et d'athées - sa meilleure amie était juive; lui-même n'est pas croyant - revendique le droit de s'exprimer, non pas comme humoriste arabo-musulman, mais comme citoyen québécois à part entière.

«Je suis un Québécois d'origine irako-marocaine, de culture musulmane, qui veut contribuer à l'essor de sa communauté et prêcher par l'exemple. Si les gens savaient que j'étais un grand fan de hockey, qu'on avait les mêmes intérêts, peut-être qu'ils auraient une autre perception de moi!» dit-il, dans un éclat de rire.