La médecin spécialiste du nouveau film de Guy Édoin, le très inspiré Ville-Marie, est métis. Ce devrait être un détail. Ce ne l'est pas. À la télévision et au cinéma québécois, les personnages de médecins sont rarement interprétés par des acteurs «dits» de la diversité. On se souvient de France Zobda dans le rôle de Lucie Baptiste (Lance et compte); c'est l'exception qui confirme la règle.

Le problème du manque de diversité ethnoculturelle au petit et au grand écran, comme du reste au théâtre et dans la plupart des autres disciplines artistiques, est récurrent au Québec. L'ethnologue de formation Jérôme Pruneau, directeur général de Diversité artistique Montréal, s'intéresse à la question depuis quelque temps. Il y a consacré un essai, Il est temps de dire les choses, à paraître le 15 octobre aux Éditions Dialogue Nord-Sud.

Depuis trois ans, Jérôme Pruneau a accompagné plus de 250 artistes «dits» de la diversité - c'est ainsi qu'il les désigne - dans leur cheminement professionnel. Un chemin de croix, le plus souvent semé d'embûches et de découragement devant le peu d'occasions de pratiquer leur métier. Son coup de gueule se veut à la fois un état des lieux de la diversité et un appel au débat dans le milieu culturel québécois.

«Très peu d'artistes dits de la diversité sont visibles ou présents, on les a oubliés, mis de côté, jusqu'à les ignorer carrément», constate l'auteur, en soulignant que cette indifférence s'apparente à «une sorte d'ostracisme dénié, insidieux, ineffable». Cette minorité visible permet selon lui à certains commentateurs de se donner bonne conscience grâce à quelques «déculpabilisateurs» de service.

Jérôme Pruneau n'a pas tort. Il a aussi raison de rappeler que l'ensemble des visages que l'on voit sur scène, au cinéma et en particulier à la télévision, n'est pas représentatif ni de Montréal ni du Québec. Il regrette notamment que pour incarner un membre de gang de rue, «assurément on prend un Latino tatoué ou un Noir». Idem, dit-il, pour un personnage de femme de ménage ou de vendeuse de drogue: «Latina ou Noire aussi, parfois d'origine maghrébine».

Il y a très peu de rôles principaux (moins de 5% à la télévision et au théâtre, selon une enquête de mon collègue Hugo Pilon-Larose publiée en janvier) pour des acteurs de minorités visibles. 

«Il est impossible de se sentir inclus en tant que minorités visibles et personnes immigrantes, lorsque les productions artistiques et culturelles ne contiennent ni des voix ni des visages de personnes d'origines diverses», conclut Jérôme Pruneau, qui est lui-même d'origine française.

On aura beau prétendre que notre télévision s'offre en miroir de notre société, l'image qu'elle nous renvoie ne reflète pas sa réalité multiethnique. Lorsqu'elle ne fait pas abstraction de la moitié de la population montréalaise «issue de l'immigration», notre télé la réduit au cliché.

Jérôme Pruneau, de son propre aveu, n'est pas tendre envers le milieu culturel québécois, pour lequel il manifeste pourtant beaucoup d'affection. Qui aime bien châtie bien. Il rappelle la controverse du blackface au Théâtre du Rideau Vert l'hiver dernier, qui avait été mise en lumière par DAM, l'organisme qu'il dirige. Afin de dénoncer «l'excès d'ignorance» et la «bêtise» de certains commentateurs (souvent les mêmes), qui ont assimilé cette pratique méprisable au fondement historique incontestable «à une quelconque moquerie d'un groupe social cible comme les rousses, les moustachus, les vieux, etc.»

Ancien imprésario et producteur de musique, Jérôme Pruneau s'interroge aussi sur le manque de diversité à l'ADISQ. Sur les cinq plus récents galas de notre industrie musicale, constate-t-il, aucun artiste «dit de la diversité» n'a reçu l'un des 57 prix attribués. «L'ADISQ semble bien éloignée d'une réflexion de fond sur cette question de l'inclusion systématique», regrette-t-il.

L'ADISQ n'est pas, tant s'en faut, le seul organisme culturel dans le viseur de l'auteur. La quasi-totalité des comités de programmation et de sélection, des jurys, des associations professionnelles et des conseils d'administration d'institutions culturelles «sont la plupart du temps exempts de diversité», remarque-t-il.

L'auteur a fait le compte: il n'y avait pas, au moment de la rédaction de son essai, la moindre représentation ethnoculturelle parmi les dirigeants et conseils d'administration d'une dizaine d'organismes culturels québécois, dont l'ADISQ, le Quartier des spectacles et l'Union des artistes, malgré 12 800 membres et les efforts soutenus de sa présidente Sophie Prégent.

Jérôme Pruneau ne se contente pas de montrer où le bât blesse. Il fait aussi état d'initiatives heureuses et d'exemples à suivre, comme celui du Cirque du Soleil, dont le quartier général est à Montréal et où une cinquantaine de langues sont parlées. Il propose par ailleurs différentes mesures, telles que des quotas de représentation de candidats issus de la diversité dans les conseils d'administration d'organisme culturels.

Le regard qu'il pose peut parfois sembler fleur bleue, voire politiquement correct. Il brosse un portrait de la situation qui relève parfois de l'évidence, mais qui a l'avantage et la qualité d'être frais et franc. Son essai ne fera pas l'unanimité. Je ne suis pas d'accord avec lui, par exemple, lorsqu'il regrette l'embauche de Québécois d'origine haïtienne plutôt que d'Haïtiens de première génération pour jouer des personnages qui parlent le créole.

Il me semble qu'il y a là une interprétation plutôt restrictive de la diversité. J'en veux pour preuve le personnage haïtien du nouveau film de Philippe Falardeau, Guibord s'en va-t-en guerre, interprété par un jeune Montréalais d'origine haïtienne (l'excellent Irdens Exantus), qui a dû «apprendre» l'accent haïtien et le créole pour le rôle. Le simple fait que ce rôle existe - comme celui de la médecin spécialiste de Ville-Marie (que Marie-Evelyne Lessard incarne avec une subtile empathie) - est un pas dans la bonne direction.

Avec Il est temps de dire les choses, Jérôme Pruneau a le mérite d'engager la discussion. À nous tous désormais de la poursuivre.

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