Guy A. Lepage a été franc. Il l'est, davantage que la moyenne des ours, quand un journaliste ou un animateur lui pose une question. Il ne cherche pas de faux-fuyants. Il répond. C'est une qualité appréciée.

Lorsque André Robitaille lui a demandé, la semaine dernière à son émission Entrée principale, s'il était satisfait des ventes de billets du spectacle de RBO, il n'a pas mis de gants blancs. Il a répondu, avec une pointe d'ironie, que Madonna et lui s'étaient parlé la veille de la difficulté d'attirer en salle le public de Québec, où ce sont «les shows heavy métal et le hockey des Remparts à 20$ le billet» qui se vendent bien.

Il l'a dit parce que c'est un fait. En guise de complément d'information. Le spectacle de Metallica de mercredi, au tout nouveau et tout beau Centre Vidéotron, affichait complet depuis des mois. Alors que celui de Rock et Belles Oreilles devrait attirer samedi quelque 4000 spectateurs, c'est-à-dire cinq fois moins qu'à l'occasion de ses deux spectacles au Centre Bell, en juin, à Montréal.

J'étais à cinq mètres de Guy A. Lepage, sur le plateau d'Entrée principale à Radio-Canada, quand il a parlé de Québec. J'ai ri, en me disant que ce n'était pas forcément la chose la plus diplomatique à dire dans les circonstances. Tu veux attirer un public récalcitrant à ton spectacle, il y a plus efficace comme argument de vente que de laisser entendre, en filigrane, qu'il est constitué de «pouèls» amateurs de «stuff de junior» (comme le dirait Michel Bergeron).

Guy A. se défend d'avoir voulu vexer qui que ce soit, mais j'ai perçu dans son ton et le choix de ses mots l'ego un tantinet égratigné d'un artiste qui constate que son groupe légendaire (ce n'est pas de l'ironie) est moins populaire dans la capitale nationale qu'un club de hockey amateur. Ce qui, il faut l'admettre, est étonnant.

Je me doutais bien que son commentaire provoquerait des réactions: quelques courriels de téléspectateurs courroucés, des remarques désobligeantes à la radio de Québec sur la fameuse «clique» gogauche caviar du Plateau Mont-Royal, etc. Il faut mal connaître Québec pour croire que ce genre de pointe somme toute inoffensive puisse passer inaperçue. Il y a des susceptibilités qui se froissent plus facilement que d'autres.

À chacun ses complexes. Comme certains cinéphiles montréalais n'aiment pas qu'on leur rappelle que le succès du Festival international du film de Toronto s'est fait aux dépens du FFM, de plus en plus provincial, la plupart des gens de Québec n'aiment pas qu'on laisse entendre, d'une manière ou d'une autre, qu'ils habitent une ville «des ligues mineures».

C'est le propre des plus petits d'envier les plus grands. On se vexe facilement de ce qu'on perçoit, à tort ou à raison, comme de la condescendance ou du mépris. Québec envie Montréal qui envie Toronto qui envie New York. C'est un réflexe naturel, qui n'est pourtant pas toujours fondé. Québec est une bien plus belle ville que Montréal. Et il est très agréable d'y passer un week-end (ceci est une BLAGUE).

Lorsque j'ai le malheur, comme le week-end dernier, de critiquer un animateur de radio de Québec dans une chronique, on m'accuse aussitôt de nourrir une vieille rivalité stérile entre Québec et Montréal. Certains, il faut croire, voient des rivalités partout.

Le plus ironique, c'est que ces lecteurs, qui méprisent les subventions à la culture et s'opposent vigoureusement à l'investissement de fonds publics dans un théâtre - le Diamant de Robert Lepage pour ne pas le nommer -, ne se formalisent pas le moindrement que 12 fois plus de deniers publics servent à financer un amphithéâtre de la LNH sans la promesse d'une équipe pour le rentabiliser. Il faut avoir la foi et croire que les Nordiques vont ressusciter. Ou aimer en «crisse» le hockey junior...

Je me doutais bien que le commentaire de Guy A. susciterait des réactions, mais j'étais loin de me douter qu'il deviendrait une nouvelle digne d'intérêt dans l'ensemble des médias du Québec. Certains pays vivent des conflits armés, accueillent des réfugiés, subissent des catastrophes naturelles. Dans notre société «monstrueusement en paix» (merci, Wajdi), on a les controverses qu'on peut.

S'agissant des préférences du public de Québec, Guy A. Lepage a rétropédalé un peu en entrevue à Deux hommes en or, vendredi à Télé-Québec, avec le camarade Lagacé. À bien y repenser, il a précisé qu'il se vendait autant de billets de RBO au prorata à Québec (800 000 personnes) qu'à Montréal. Le mal était déjà fait: une organisatrice libérale de Québec avait eu le temps de traiter l'animateur de Tout le monde en parle «d'osti d'épais» sur Twitter. Édifiant.

Guy A. Lepage, je le répète, n'a pas fait preuve de la plus grande délicatesse. Il reste qu'il n'avait pas tort. Si l'on fait exception de l'accueil enthousiaste réservé par les gens de Québec aux groupes de métal des années 80 et de rock progressif des années 70, la Vieille Capitale n'est plus depuis longtemps sur l'écran radar des artistes «d'aréna» du moment, qui préfèrent passer leur tour.

La plupart qui s'arrêtent à Montréal font l'impasse sur Québec. Un lecteur mélomane m'a fait, à brûle-pourpoint, une liste d'artistes majeurs dont les récents spectacles n'ont pas fait escale à Québec: Beck, Radiohead, Air, Coldplay, U2, Arcade Fire, Katy Perry, Jay-Z, Eminem, Beastie Boys... Il y en a des dizaines d'autres. Mötley Crüe et Alice Cooper, en revanche, seront à Limoilou le 20 octobre. Et Shania Twain vend des billets à Québec comme des petits pains chauds.

Est-ce que la donne va changer grâce au fabuleux - que dis-je, l'extraordinaire - Centre Vidéotron (si l'on en croit la couverture médiatique de son ouverture, d'une unanimité nord-coréenne)? C'est la question à 370 millions à laquelle le maire Régis Labeaume ne répondrait sans doute pas si Alain Gravel la lui posait.

Lundi, le maire de Québec, exaspéré et de mauvais poil - ou vexé qu'on ne lui déroule pas le tapis jaune? -, a refusé de répondre à la plupart des questions de l'animateur de l'émission matinale de la radio de Radio-Canada à Montréal, prétextant un manque d'intérêt pour les thématiques abordées (les Nordiques, Guy A. Lepage, Pierre Karl Péladeau). À choisir, je préfère de loin le franc-parler de Guy A. à ce «stuff» de junior.