À l'entrée du Majestic, l'un des plus luxueux palaces de la Croisette, Catherine Deneuve prenait place dans une limousine, en route vers l'aéroport. Au lobby, j'ai demandé au groom où se trouvait le lounge Grey Goose, où j'avais rendez-vous avec Denis Villeneuve. Il a demandé à un collègue. Ils ont hésité.

Au même moment, j'ai senti une main se poser sur mon épaule. «Suis-moi!» qu'il m'a dit. Je me suis retourné. C'était Villeneuve, arrivé sur la Côte d'Azur la veille. Il n'avait pas fait trois pas qu'un producteur (ou distributeur) très louangeur le félicitait pour son film - vu récemment à Los Angeles - et lui proposait de lui présenter un acteur bien connu, tournant en ce moment dans X-Men. «Il est à Montréal? Il faudrait bien que je le rencontre.»

Je lui ai demandé s'il était revenu à Cannes depuis 2009. Nous nous étions rencontrés à l'époque pour la présentation de Polytechnique à la Quinzaine des réalisateurs, qui comptait la même année J'ai tué ma mère de Xavier Dolan et Carcasses de Denis Côté. Il entamait alors la «deuxième phase» de sa carrière, lui qui n'avait pas réalisé de long métrage depuis Maelström, en 2000.

«Je ne fréquente pas les Festivals quand je n'y ai pas d'affaire!» m'a-t-il répondu, en route vers un photo call avec les autres cinéastes canadiens du Festival, Jean-Marc E. Roy et Philippe David Gagné, réalisateurs du court métrage Bleu Tonnerre, qui sera présenté vendredi à la Quinzaine des réalisateurs.

Sicario, deuxième long métrage américain de Denis Villeneuve après Prisoners, sera présenté aujourd'hui en compétition officielle. C'est la deuxième année de suite qu'un Québécois est en lice pour la Palme d'or, après Xavier Dolan pour Mommy. Et seulement le quatrième cinéaste du Québec à être ainsi sélectionné depuis Denys Arcand, en 1989, avec Jésus de Montréal (Arcand fut aussi de la compétition avec Les invasions barbares en 2003, tout comme Jean-Claude Lauzon en 1992 pour Léolo).

Villeneuve est conscient que les attentes sont grandes. La rumeur bruissant de L.A. est très favorable. Sicario, mettant en vedette Emily Blunt, Benicio Del Toro et Josh Brolin, est déjà destiné à plusieurs marchés internationaux. Ce thriller policier campé dans les cartels de la drogue, à la frontière américano-mexicaine, est décrit par le cinéaste comme «un film d'auteur grand public, accessible et populaire». D'où sa surprise d'avoir été sélectionné en compétition officielle.

C'est Patrick Wachsberger, coprésident de son distributeur Lions Gate, qui a proposé que Sicario soit soumis au Festival de Cannes. «J'ai dit non!, me confie Villeneuve. Mais il m'a convaincu de le présenter à Thierry Frémaux (le délégué général). Ce n'est pas que je ne crois pas au film. Je l'aime beaucoup et j'ai envie d'en prendre soin. Mais c'est très stressant de présenter un film ici.»

La compétition cannoise, comme l'a appris Gus Van Sant à ses dépens (son pénible The Sea of Trees a été assassiné par la critique la semaine dernière), est un couteau à double tranchant. «Quoiqu'il arrive ici, le film sort à l'automne sur 3000 écrans, dit Villeneuve. Je sais qu'une partie de la critique américaine a été séduite par le film, ce qui est rassurant. Pour moi, être sélectionné parmi les 19 cinéastes de la compétition, c'est déjà tout un honneur. J'ai juste envie de savourer ce plaisir.»

Le cinéaste québécois est arrivé dimanche sur la Croisette afin de s'acclimater au fuseau horaire et se remettre dans l'état d'esprit de Sicario, avant un marathon de trois jours d'entrevues avec la presse internationale, à compter d'aujourd'hui. «Je suis en mode de préparation de tournage, pas en mode champagne!» dit le cinéaste d'Incendies, qui tournera début juin à Montréal un film de science-fiction, Story of Your Life, avec Amy Adams et Jeremy Renner.

Sa préparation pour Cannes, dit-il, s'est résumée à un visionnement de The Big Lebowski des frères Coen, coprésidents du jury, sur son vol transatlantique. Le soir même, il se trouvait sur le luxueux yacht d'un dirigeant de Google, l'un des nombreux yacht de milliardaires mouillant dans la baie de Cannes (celui de Guy Laliberté s'y trouve aussi depuis peu, semble-t-il). Les grands ados de Villeneuve, qui l'accompagnent à Cannes pour la première fois, ont fait la fête plus longtemps que lui en compagnie de Benicio Del Toro, Salma Hayek et Xavier Dolan.

Dolan n'est pas le seul ami de Denis Villeneuve à faire partie du jury de la compétition cette année. Jake Gyllenhaal, tête d'affiche de ses deux précédents films, Prisoners et Enemy, est aussi un proche. Et son directeur photo, Roger Deakins, qu'il devait retrouver hier soir, est un collaborateur de longue date des frères Coen. Des liens étroits qui risquent davantage de nuire que de profiter à ses chances de se retrouver au palmarès, croit-il. Villeneuve a d'ailleurs prévu de repartir pour Montréal dès samedi, la veille du dévoilement du palmarès.

«Je ne peux pas rêver d'un pire jury. Il manque juste une ex-belle-mère!, dit-il en riant. C'est pas mal incestueux. Honnêtement, ce n'est pas grave. Le palmarès, je viens ici complètement détaché de ça, sincèrement. J'ai envie que le film soit bien accueilli. Tout en étant conscient que ce n'est pas acquis. On s'en reparle demain. Je vais ou bien en rire ou en pleurer...»

Dans la tête de Pixar

Le quinzième film d'animation des studios Pixar, Inside Out, réalisé par Pete Docter (Up! film d'ouverture du Festival de Cannes en 2009) et présenté hier hors compétition, brille par l'originalité de sa prémisse.

Cette histoire à la fois comique et attendrissante se passe littéralement dans la tête d'une fille de 11 ans, joueuse de hockey du Minnesota dont les parents déménagent à San Francisco. Aux commandes du «cockpit cérébral», des émotions incarnées par des personnages: la joie (interprétée par Amy Poehler; et la Québécoise Charlotte Le Bon dans la version doublée en français), la tristesse, le dégoût, la colère, la peur.

Le résultat n'est peut-être pas à la hauteur de la brillante idée de départ, mais demeure charmant et sympathique à souhait. La trame est somme toute celle d'un film d'animation hollywoodien conventionnel, avec des séquences d'action rocambolesques, des embûches, du découragement, et l'inévitable happy end. Mais le scénario, qui n'est pas sans rappeler celui du Magicien d'Oz, regorge de petites perles: une visite du subconscient, notamment, et une incursion très drôle dans la tête des parents d'une préadolescente.

Comme dans la plupart des films de Pixar (Toy Story, Ratatouille, Monsters Inc.), petits et grands trouvent leur compte. Malgré les bons sentiments et l'habituelle morale «disneyesque», Inside Out (Sens dessus dessous en version québécoise, à l'affiche le 19 juin, avec la voix d'un certain Xavier Dolan) est un divertissement intelligent et comique, qui fera un malheur aux guichets.