« Pouvez-vous prendre une photo ? » Il avait déjà déposé son téléphone dans le creux de ma main, me donnant peu le choix de refuser. Un grand Noir, Californien, la cinquantaine.

Je suis resté un moment planté là comme une asperge, pendant que Xavier Dolan faisait la connaissance de Natalie Portman, au très chic dîner d'ouverture du 68e Festival de Cannes.

Profitant d'un creux dans la conversation, le Californien m'a fait un signe de la tête, s'est approché de Natalie et a placé son bras autour de sa taille menue. Je me sentais comme un paparazzo infiltré dans une soirée mondaine. Elle grimaçait un peu dans un sourire forcé. J'ai eu pitié d'elle. J'ai pris la photo à la va-vite : un seul cliché mal cadré, un peu par exprès, je l'admets.

C'est Thierry Frémaux, le délégué général du Festival de Cannes, qui a raison. Les selfies avec des vedettes, c'est ridicule. Je me sentais mal. Pour dissiper tout doute sur le fait que je puisse être le complice du Californien, je me suis confondu en excuses auprès de Natalie.

Elle était accompagnée de son mari, le directeur du ballet de l'Opéra national de Paris Benjamin Millepied, rencontré sur le tournage de Black Swan de Darren Aronofsky. Il avait chorégraphié sur le thème de Vertigo d'Alfred Hitchcock un court spectacle présenté plus tôt en soirée, en ouverture du Festival.

« Je suis une Américaine à Paris maintenant », qu'elle a dit. On a parlé de son premier film à titre de réalisatrice, A Tale of Love and Darkness, campé à Jérusalem - sa ville natale - et tourné en hébreu, qu'elle présente demain hors compétition dans le cadre du Festival. 

On a jasé kabbale. Elle m'a raconté la légende d'Esther et du roi de perse. J'ai remarqué qu'elle portait de grandes boucles d'oreille scintillantes (de Grisogono, j'ai vérifié ; elle portait aussi une robe rouge griffée Dior, si vous voulez tout savoir).

Une fille avec une bonne tête - elle a étudié à Harvard - sympathique, jusqu'à ce que je lui demande de prendre un selfie pour mes garçons fans de Star Wars (attendez que je leur dise que j'ai rencontré la reine Amygdalite !). Ben non, je vous tire la pipe. Je n'ai pas pris de selfie, ni avec elle ni avec Ethan Coen, frayant dans cette soirée mondaine comme un poisson hors de son bocal, à qui j'ai aussi été présenté.

J'ai proposé un selfie à Xavier Dolan, qui m'a observé d'un regard oblique, en faisant une moue typique, l'air de se demander « T'es pas sérieux ? ». Ben non ! Il faudra que je raffine mon humour d'égoportrait. 

Dolan était accompagné de sa muse Anne Dorval, tout juste arrivée d'un tournage en Suisse pour l'émission Qui êtes vous ? On a jasé parchemins du Moyen Âge. Je ne l'avais pas vue depuis... le Festival de Cannes l'an dernier, à pareille date. On est mondain ou on ne l'est pas.

Dans la navette nous accompagnant vers le chic Palm Beach, à quelques kilomètres du Palais des Festivals, j'ai croisé par hasard la productrice Denise Robert et le distributeur Patrick Roy, président d'eOne Canada. Je leur ai raconté comment j'avais troqué mon habit bleu fripé de l'an dernier pour un habit tout neuf. Denise Robert, désignant ma manche, m'a fait remarquer que celui-ci aussi était fripé. Je n'ai décidément pas le tour avec les complets.

Je n'ai pas osé leur dire que le vieil habit bleu fripé était rendu trop serré, pour cause d'une accumulation inopinée de kilos ces derniers mois en prévision - je suis toujours à l'affût - de la nouvelle mode printanière, le « dadbod », célébration par la femme du petit bedon de son homme (j'ai appris ça il y a une semaine).

Manifestement en retard sur la mode, ni le « dadbod » ni le « monbod » n'ont encore fait leur apparition sur la Croisette. J'ai été accueilli au dîner officiel vers 23 h mercredi par un très joli feu d'artifice et des mannequins de plus de 6 pieds avec un indice de masse corporelle sous la moyenne saisonnière.

Sur le tapis rouge nous menant à la salle de réception, les photographes hélaient une petite blonde, marchant juste devant moi, le pas hésitant. Elle avait l'air de demander à son compagnon : « J'y vais ou j'y vais pas ? ». Elle s'est décidée juste avant que je lui dise « branche-toi ». J'ai reconnu l'actrice australienne Naomi Watts. Je ne lui ai pas proposé d'égoportrait.

Il y avait d'autres égéries de L'Oréal, l'un des commanditaires du Festival, parmi la pléiade de stars présentes au dîner. Les actrices Lupita Nyong'o et Leïla Bekhti, notamment, accompagné de son amoureux Tahar Rahim - à l'affiche du film Les Anarchistes, à la Semaine de la critique, avec Adèle Exarchopoulos, que j'ai failli ne pas reconnaître en brune foncée.

En rentrant sous le chapiteau, j'ai croisé Emmanuelle Béart, elle aussi avec un je-ne-sais-quoi de méconnaissable, et la très élégante Emmanuelle Devos. À la table d'honneur, il y avait Catherine Deneuve, Benoit Magimel et Sara Forestier, du film d'ouverture La tête haute d'Emmanuelle Bercot. J'ai pensé qu'Emmanuelle était un prénom populaire dans les années 60.

Réunis au dîner d'ouverture, comme chaque année, les bonzes du cinéma mondial : acheteurs, distributeurs, producteurs, dirigeants de studios. Discutant du « buzz » autour de certains titres présentés au Festival, en particulier Sicario de Denis Villeneuve si l'on en croit la très branchée publication web Indiewire.

J'ai fini par trouver ma place, au moment où tout le monde était déjà assis et commençait à manger. À la table voisine, Sabine Azéma, présidente du jury de la Caméra d'or, discutait avec Melvil Poupaud, le « Laurence » du film de Xavier Dolan.

Au menu, concocté de nouveau par le chef Bruno Olger, de quoi contenter la gauche caviar : du caviar Petrossian (justement), du homard breton servi sur une parmentière à la truffe, du champagne, un Château d'Armailhac 2005, et je vous en passe. « La belle vie ! » comme dirait l'autre. Je préfère rappeler qu'il n'y a pas de sot métier.

Après le dessert, je suis retourné voir Anne Dorval, afin de m'assurer qu'elle ne s'ennuyait pas trop en compagnie de Joel Coen et de sa femme Frances McDormand. 

Xavier Dolan semblait déjà avoir bien fraternisé avec le très sympathique Jake Gyllenhaal, rencontré pour la première fois la veille (autrement que dans ses rêves). 

« Tu ne viens pas au party ? » lui a demandé Dolan. « Il est 1 h du matin ! On a un film à voir à 10 h 30... »

Le jury au grand complet a décidé d'être sage et de rentrer en ville en limousine. Il a bien fait. Au Gotha Club attenant, le DJ Avener faisait jouer de la musique dance dans le tapis, pendant que de jeunes danseuses se déhanchaient en petite tenue, juchées sur les haut-parleurs. Des mononcles bedonnants prenaient des selfies en direct de la zone VIP.

Le sceau glacé rempli de Grey Goose, de champagne et de whisky me faisait de l'oeil. Je me suis servi un dernier verre et je suis parti.

En traversant le chapiteau du Palm Beach, beaucoup plus calme et presque vide, j'ai aperçu Emmanuelle Devos, assise, dans un état quasi somnolent, pendant qu'à ses côtés Thierry Frémaux et Pierre Lescure saluaient les invités.

Je suis retourné à la navette, pratiquement vide. J'avais mal géré mon horaire. J'ai attendu presque une demi-heure avant le départ. Qui a sauté dans l'autobus, à presque 2 h du matin ? Mon Californien. On n'a pas pris de selfie.

Photo Benoît Tessier, Reuters

Emmanuelle Devos sur le tapis rouge du Palais des Festivals.