Ce qui étonne, ce n'est pas le nombre, symbolique. Cent un. Comme les dalmatiens. Ce n'est pas non plus que parmi ces 101 artistes, l'on compte quelques relationnistes, producteurs ou journalistes. Ce qui étonne, c'est que parmi ceux-ci se trouvent bien des hommes et des femmes qui se définissent comme progressistes.

Dans une lettre au Devoir publiée hier, le groupe des 101 a tenu à «témoigner de l'amour profond de Pierre Karl Péladeau pour la culture québécoise». Afin que l'on cesse une fois pour toutes de prétendre qu'il la déteste ?

Que personne ne se méprenne : il ne s'agit pas d'une lettre d'appui au «candidat Péladeau», a insisté hier le député de Saint-Jérôme ainsi que plusieurs signataires, mais bien d'une lettre de «reconnaissance». On m'excusera, à deux semaines de l'élection d'un nouveau chef au Parti québécois, de ne pas saisir toutes les nuances de cette distinction sémantique...

La lettre de reconnaissance étale d'entrée de jeu le parcours universitaire de «Pierre Karl». Après des études de philosophie à l'UQAM, il a poursuivi une scolarité de maîtrise à Paris avant d'étudier le droit à l'Université de Montréal. Ce qui en fait bien sûr, si j'ai bien compris, un amant indéfectible de la culture québécoise.

La lettre se poursuit avec une liste de multiples événements auxquels Pierre Karl Péladeau a apporté son soutien, moral et financier, dans différentes régions du Québec. M. Péladeau, que l'on décrit comme un grand cinéphile et un mélomane, aime les arts sans discrimination : la chanson, la musique, le cinéma, le théâtre, la danse, les arts visuels, la poésie, etc. «Il s'en nourrit et s'en inspire», précise-t-on.

Les signataires le remercient de son soutien au Festival de musique émergente en Abitibi-Témiscamingue - où il a réclamé que le groupe Groenland chante en français - , au Musée de la Gaspésie ou encore au Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean. On croirait lire le florilège de remerciements pour services rendus d'un cocktail-bénéfice de chambre de commerce.

On s'étonne que quiconque remette en question l'amour de Pierre Karl Péladeau pour la culture québécoise. Sa contribution aux arts à titre de mécène est incontestable. Grâce au projet de restauration cinématographique Éléphant, dont il est l'initiateur, le répertoire québécois sera de nouveau représenté au Festival de Cannes le mois prochain. Après Léolo l'an dernier, on a appris hier que Les ordres de Michel Brault (Prix de la mise en scène 1975) serait présenté dans le cadre de la sélection «Cannes Classics».

On ne s'étonne pas, disais-je, du nombre de signataires de cette lettre de reconnaissance ni de certains noms qui y figurent. Julie Snyder, Denise Filiatrault, Chantal Renaud, Éric Lapointe, Andrée Ferretti, Thérèse Tanguay-Dion, Jacques Lanctôt, Victor-Lévy Beaulieu et autres Denys Arcand sont des «alliés naturels» du candidat PKP. Mais d'autres noms détonnent davantage.

Pourquoi se formaliser de l'appui de certains artistes à Pierre Karl Péladeau alors que l'on ne sourcille pas au soutien offert par d'autres à Alexandre Cloutier ? Sans doute parce que les deux principaux candidats de la course à la direction du PQ se trouvent aux antipodes l'un de l'autre sur l'échiquier politique (et que les artistes s'identifient plus volontiers à gauche).

Que des artistes s'impliquent dans le débat public, voilà qui est sain à mon sens. Certains craignent de le faire, pour toutes sortes de raisons : pour ne pas être identifiés à un camp, un parti ou une idéologie, par crainte que cela ne nuise à leur carrière, etc. Fiducie ou pas, avec ou sans droit de regard, certains prêtent beaucoup d'influence à l'ex-dirigeant de Québecor. Et hésitent, en conséquence, à faire entendre leur voix contre lui.

Je ne suis pas un artiste. Je ne suis membre d'aucun parti. Je ne reproche certainement pas aux artistes leurs convictions politiques ni leurs partis pris. Je suis seulement étonné que certains, s'affichant par ailleurs à gauche, décident de fermer les yeux sur le passé antisyndical de Pierre Karl Péladeau afin de célébrer, à 13 jours de son couronnement, son «amour de la culture».

Je m'étonne de la désinvolture avec laquelle ces progressistes oublient commodément les lock-out et les mises à pied au Journal de Montréal et au Journal de Québec, le mépris de Pierre Karl Péladeau pour ses ex-employés, sa remise en cause des cotisations syndicales obligatoires et son refus de moderniser les dispositions anti-briseurs de grève du Code du travail, des mesures pourtant mises en place par le PQ de René Lévesque.

Pierre Karl Péladeau incarne, dans son essence, le contraire des valeurs sociales-démocrates du fondateur du Parti québécois. Cela ne semble pas indisposer certains des plus fervents admirateurs de Lévesque, pour qui la promesse d'un pays semble avoir préséance sur tout le reste. Ils sont prêts à fermer les yeux sur le passé et à se pincer le nez en votant pour avoir leur pays. La Cause a trouvé son nouveau Messie. La fin justifie les moyens.

Je ne reproche pas aux artistes de choisir un camp dans la course à la direction du PQ. Je reproche à certains d'entre eux d'être inconséquents. De se dire de gauche tout en appuyant un candidat de droite (car signer une lettre de ce genre à deux semaines d'une élection est bel et bien un appui). J'ai envie de leur dire, comme à mes enfants quand ils cherchent en vain à droite alors que je leur ai dit de regarder à gauche : «L'autre gauche !»