Il se dit serein, mais il n'a pas l'air si serein. Guy Laliberté s'est impatienté à quelques reprises, hier, à l'occasion de la plus longue et importante conférence de presse de sa carrière. Celle confirmant la vente de l'entreprise qu'il a fondée au groupe financier américain TPG Capital.

Le «Guide» sortant du Cirque du Soleil n'apprécie guère les questions embêtantes des journalistes. Cela s'entendait dans l'irritation de sa voix, dans son visage soudainement empourpré, dans les multiples «Vous voulez rire?» offerts en guise de réponse à des confrères anglophones.

Guy Laliberté a 55 ans. Il dirige le Cirque du Soleil depuis 31 ans. Il est milliardaire. Il dit vouloir désormais se consacrer à sa «passion du voyage, des arts, de la culture». Il veut surtout passer plus de temps auprès de ses cinq enfants. On le comprend de vouloir profiter de son «style de vie», comme il le dit. Il l'a bien mérité.

Laliberté ne prend pas pour autant sa retraite. Il détient toujours 10% des actions du Cirque du Soleil et participera à la direction artistique de l'entreprise, dont le siège social demeurera à Montréal. «Je garde ma place de stationnement, dit-il. Grand-papa va toujours avoir sa chambre dans la maison. Je ne suis pas prêt pour le foyer de personnes âgées!»

Il a d'autres projets. Parmi lesquels celui - ainsi que le révélait mon collègue Vincent Brousseau-Pouliot la semaine dernière - de proposer un service inédit d'animation de services funèbres. Disons qu'il y a là un public captif.

Les inquiétudes exprimées depuis quelques jours, par des journalistes et politiques, face à la vente d'un fleuron québécois à des intérêts étrangers semblent être pour Guy Laliberté une grande source d'irritation. Il a tenu à «dédramatiser» la situation hier, et en a appelé - toujours avec un grain d'irritation dans la voix - au soutien de la presse québécoise.

«Le Cirque demeure et sera toujours ce qu'il est», a-t-il déclaré du septième étage du siège social de l'entreprise, surplombant le quartier Saint-Michel. «Il y a quelque chose qui ne se déménage pas, c'est la créativité des Québécois», a renchéri Daniel Lamarre, qui demeure le président et chef de la direction de l'entreprise, en évoquant le maintien à Montréal de son quartier général, où travaillent plus du tiers de ses quelque 4000 employés.

«L'ADN de la compagnie est dans la créativité québécoise», a répété Mitch Garber, nouveau dragon de Radio-Canada et président du conseil d'administration du Cirque. C'était, de toute évidence, le leitmotiv de cette rencontre de presse, où les entrepreneurs se sont lancé bien des fleurs.

Il est vrai qu'à court terme, l'identité québécoise du Cirque semble préservée. L'acquéreur principal a pris un certain nombre d'engagements, dont celui de maintenir le centre de recherche et de développement de l'entreprise à Montréal. En revanche, plusieurs questions sont restées en suspens hier. Le Cirque du Soleil souhaite une «croissance exponentielle en Chine» grâce à l'expertise de son actionnaire minoritaire chinois Folsun (20%). Mais on ne sait pas de quelle manière ni dans quels secteurs cette croissance est espérée.

Le Cirque s'est éparpillé ces derniers temps dans des projets de télévision, de cinéma, de villégiature, de parcs d'attraction ou encore de gastronomie. Cette diversification de ses activités s'est opérée avec plus ou moins de succès. Il ne serait pas étonnant, à la lumière des déclarations d'hier, que son expansion se fasse autrement que par le spectacle de cirque.

Mitch Garber assure que l'on ne percevra pas immédiatement de changement dans le fonctionnement de l'entreprise ni dans ses productions. «On ne perdra pas notre identité!», insiste de son côté Guy Laliberté, manifestement irrité par les questions touchant à la «québécitude» du Cirque.

Laliberté, astronaute amateur qui prône l'abolition des frontières étatiques, dit ne pas croire à «l'entrepreneurship de deuxième génération». C'est la raison pour laquelle il n'a pas voulu léguer plus tard son entreprise à ses enfants. Cette déclaration, jumelée aux récents commentaires de Mitch Garber à Tout le monde en parle, serait-elle une réponse à Pierre Karl Péladeau, très critique de la vente du Cirque à des intérêts étrangers? Qui sait.

Il est légitime de craindre, malgré les assurances de tout un chacun, que la «créativité québécoise» ne soit pas toujours au coeur des préoccupations du Cirque du Soleil, si sa percée longtemps espérée en Chine se concrétise enfin.

On ne peut prédire l'avenir. Ce qui est indéniable, en revanche, c'est que le Cirque du Soleil a souffert d'un essoufflement artistique ces dernières années. Il n'a pas su conserver son image de leader avant-gardiste. D'autres troupes, plus audacieuses, plus pertinentes, ont émergé à ses dépens. Le Cirque a fait quelques mauvais paris, avec des spectacles mal accueillis, aux États-Unis comme en Asie. Et son image de marque en a souffert.

Contrairement à Apple, devenue une superentreprise aux produits diversifiés tout en conservant un cachet séduisant de pionnier de l'innovation, le Cirque du Soleil s'est progressivement fondu dans la masse de l'offre culturelle conventionnelle.

Une multinationale du divertissement qui n'émerveille plus autant qu'avant avec ses comédies musicales sur Broadway et ses spectacles à Las Vegas. Et qui propose depuis peu un spectacle dans un tout-inclus de Cancún. Pour le cool factor, comme disent les Chinois, on repassera...

Ses dirigeants parlaient surtout hier d'expansion, de croissance exponentielle, d'expertise des nouveaux acquéreurs, de contacts, de branding, de marchés à explorer, d'un formidable tremplin. Espérons que le coup de barre offert au Cirque du Soleil ne sera pas qu'économique, mais aussi artistique. Son avenir en dépend.