Une fois, c't'un gars, comprends-tu, apostrophé par un souverainiste mécontent. Le gars s'appelle Samir Khullar, alias Sugar Sammy, dit «l'abominable homme de Côte-des-Neiges», comme le clame sa dernière publicité pas le moindrement controversée.

Cet homme de Khullar, un Montréalais d'origine indienne faisant le comique dans les deux langues officielles - ainsi qu'en hindi et en punjabi -, discute avec un jeune indépendantiste n'ayant pas apprécié la blague suivante: «Il y a deux sortes de Québécois. Il y a les Québécois éduqués, cultivés, bien élevés. Et il y a ceux qui ont voté Oui.»

L'humoriste écoute les doléances de ce souverainiste courroucé qui se targue d'avoir fait des études supérieures à l'UQAM. Sugar Sammy marque une pause en racontant l'anecdote, et jette un regard oblique au public en esquissant un sourire ironique. Parle, parle, jase, jase, jusqu'à ce que l'humoriste en vienne à dire à son interlocuteur: «Écoute, c'est vraiment intéressant ce que tu me racontes, on en reparlera une autre fois. Mais pour l'instant, peux-tu me donner mon trio Big Mac?»

J'ai ri, beaucoup, à l'irrévérence de cette provocation. Ils ne sont pas légion, les humoristes québécois qui osent se moquer, en français, des souverainistes (plus ou moins la moitié de leur public cible). Dans ma critique de son dernier spectacle, En français svp!, je regrettais que Sugar Sammy ne se paie pas davantage la tête des «pure laine». Je lui reprochais surtout de sous-estimer notre capacité collective à accepter qu'un humoriste d'origine indienne casse du sucre sur le dos de la majorité francophone. Qu'est-ce que j'avais tort...

Après avoir soulevé l'ire des ultranationalistes avec une publicité en forme de piège à cons, Sugar Sammy a reçu jeudi soir des menaces de mort avant un spectacle à Sherbrooke. Il s'en est même trouvé - sur les réseaux sociaux, terreau fertile pour les imbéciles - pour dire qu'il l'avait bien mérité. Kin toé, le Paki! Crève, «clown fédéral» !

Je ne disserterai pas sur l'importance du droit à la liberté d'expression (qui ne comprend pas, regretteront certains, celui de proférer des menaces de mort). Ce serait bien ennuyeux. Permettez plutôt que je tente de raconter une drôle d'histoire.

Une fois, c't'un gars, comprends-tu, qui après avoir traité un humoriste de «francophobe» et de «néoraciste», en l'accusant de «cracher au visage» des Québécois, décide de se présenter à l'émission de Denis Lévesque en grand vexé, pour dénoncer un courriel injurieux qu'il dit avoir reçu d'un imprésario américain de Sugar Sammy.

«Êtes-vous sûr que c'est vraiment lui?», lui demande l'animateur. «On a vérifié», lui répond l'interviewé, jeune président de la Société Saint-Jean-Baptiste, le sourire fier, en brandissant une copie de son courriel au bénéfice du caméraman et de quelques centaines de milliers de téléspectateurs. Le lendemain, Maxime Laporte a dû s'excuser sur le site de la SSJB des «inconvénients» causés par cet «habile canular».

Le nouveau président de la SSJB, un avocat de 26 ans - candidat à la maîtrise en science politique à l'UQAM -, s'est donné la peine, ce week-end, de condamner les menaces dont a fait l'objet Sugar Sammy à Sherbrooke. Dix jours plus tôt, après sa bourde chez Denis Lévesque, il lui reprochait dans une lettre «de rire du monde qui t'admire, qui t'a accueilli et accepté dans ta différence».

Accepté dans «ta différence»? On parle ici du fait que ce Québécois de naissance a la peau brune et qu'il dit sentir les épices? Ou qu'il parle quatre langues couramment? Le pompier pyromane qui dénonce les menaces après avoir attisé la haine. S'il est francophobe, comme le prétend la SSJB, je me demande pourquoi Sugar Sammy s'embarrasse d'une tournée en français des petites villes du Québec, plutôt que de se concentrer sur une carrière en anglais aux États-Unis et à Abou Dhabi? Serait-il un masochiste qui s'ignore?

La question est récurrente: peut-on rire de tout? Pas des souverainistes quand on ne s'appelle pas Tremblay, Moreau ou Turcotte, semble-t-il. Sugar Sammy se moque pourtant de tous, des Haïtiens comme des Marocains, des musulmans comme des hindous. Il faut mal connaître son répertoire, ou ne rien y comprendre, pour prétendre que seuls les francophones sont victimes de son humour corrosif.

Dans une publicité pour la radio anglaise actuellement en ondes, il se joue du politiquement correct et traite de raciste... son public anglophone! Désolé pour les nationalistes à la mèche courte, adeptes de théories du complot et d'humour au premier degré, qui citent ses blagues hors contexte pour mieux le discréditer.

Évidemment que Sugar Sammy fait de l'humour politique. C'est même ce qu'il fait de mieux. Son humour est teinté par ses convictions fédéralistes comme l'est du reste celui des Zapartistes par une forte inclination indépendantiste.

Faut-il en vouloir à Sugar Sammy, fils d'immigrants allophones, d'être un fédéraliste impénitent? Aurait-on l'indignation à géométrie variable? La Charte de la langue française, qui a fait du français la langue officielle du Québec et de Samir Khullar un enfant de la loi 101, n'a pas pour fonction de former des indépendantistes.

Sugar Sammy se moque des monomaniaques de l'indépendance, de leurs complexes d'infériorité, de leurs petites susceptibilités, de leur cruel manque d'humour. Il se moque de son public, j'oserais dire gentiment, comme il se moque de lui-même. Heureusement. Il y a là matière à rire, à profusion. L'autodérision, que je sache, n'a jamais fait de tort à personne.