Commençons par un aveu: je me suis trompé. Ce n'est pas la première fois. Ce ne sera pas la dernière. J'ai longtemps cru que la «crise» qui secouait le cinéma québécois était circonstancielle. Qu'elle était principalement le fait de quelques naufrages inattendus de films commerciaux médiocres: L'appât, L'empire Bossé et autres Hot dog de triste mémoire.

Je crois toujours que nous avons collectivement des attentes démesurées vis-à-vis de la performance du cinéma québécois au box-office. Les quelque 18% de parts de marché obtenues par notre cinéma il y a une dizaine d'années étaient l'exception qui confirme la règle - la règle étant que le public québécois préfère largement le cinéma hollywoodien au sien propre (les films américains comptent bon an mal an pour 85% de ce qui est vu en salle chez nous).

Les Québécois ne sont pas les seuls à préférer à leurs films nationaux les stars et les effets spéciaux des grands studios hollywoodiens. C'est un phénomène que l'on observe à peu près partout dans le monde, à divers degrés. Toujours est-il qu'espérer 10% de parts de marché pour nos films n'était pas irréaliste il y a cinq ans à peine, alors qu'aujourd'hui, on en est réduit à considérer un maigre 5% comme le symbole d'une embellie.

Je dois me rendre à l'évidence: la crise que j'espérais circonstancielle et passagère perdure. C'est d'ailleurs une crise mondiale de baisse de fréquentation, à laquelle le Québec n'échappe pas. Encore cette année, le cinéma québécois ne peut guère espérer davantage que 4% des recettes aux guichets, elles-mêmes en baisse. C'est la troisième année de suite que les résultats sont aussi décevants.

On se console en se disant que la situation aurait été encore plus désastreuse sans le succès de 1987 de Ricardo Trogi, seul film «millionnaire» de 2014, qui sauve un peu la mise, comme l'avait fait Louis Cyr l'été dernier.

Lundi après-midi, j'ai voulu profiter du congé de la fête du Travail pour rattraper le retard de mes vacances et voir 1987. J'ai plutôt poireauté pendant 45 minutes avec quelques dizaines de personnes dans la salle d'un cinéma Guzzo, sans que quiconque vienne nous avertir que la projection n'aurait pas lieu. Et on se demande pourquoi les gens désertent les salles de cinéma et préfèrent regarder des films en VSD ou en DVD...

J'ai longtemps cru que la désaffection du public québécois pour son cinéma était passagère. Que les nuages noirs laisseraient place à un soleil radieux. Qu'il y aurait bien d'autres films comme C.R.A.Z.Y., Incendies ou Monsieur Lazhar pour rallier la critique et le public, et faire taire les ennuyeux débats sur ce cinéma-québécois-hermétique-qui-fait-abstraction-du-grand-public.

C'est justement quand il tente trop de plaire au «grand public», en lui proposant des formules éculées qu'il a vues 100 fois, que le cinéma québécois se l'aliène. Notre cinéma, il est vrai, a perdu de son pouvoir d'attraction. Le bouche-à-oreille n'est pas efficace. Les films porteurs sont rares.

Est-ce une raison, comme certains semblent le suggérer, pour couper les vivres aux cinéastes et scénaristes québécois, sous prétexte que leur art coûte cher et qu'ils n'attirent pas suffisamment de spectateurs en salle?

Aurait-on avantage à miser essentiellement sur un cinéma consensuel et uniforme, qui fait rire sans faire de vagues, épouse des carcans prédéfinis et ne sort jamais du cadre des conventions populaires universelles?

Peut-être - je n'en sais rien - qu'on obtiendrait de meilleurs résultats aux guichets. Mais ce serait se priver d'oeuvres originales, audacieuses, inspirées, exigeantes parfois, qui définissent brique par brique ce que nous sommes, comment nous nous percevons et l'image que nous renvoyons au monde.

C'est ce cinéma-là que j'ai envie de défendre et que j'ai toujours défendu. Le cinéma comme forme d'art (ce qui ne m'empêche pas d'être très joyeusement diverti par une franche comédie, même la plus régressive). J'irai voir 1987. Même si je suis le dernier à le faire. J'ai bon espoir d'y trouver mon compte. Je suis heureux qu'il plaise à beaucoup de gens.

Mais la popularité ne devrait jamais être un critère pour juger de la qualité d'une oeuvre. Il faut cesser de considérer le cinéma, chez nous, comme un luxe que nous n'avons pas les moyens de nous offrir. Si nous prétendons être «quelque chose comme un grand peuple», comme disait l'homme politique, nous avons le devoir d'exister à travers le regard de nos cinéastes.

Notre cinéma, sa vitalité, son originalité, sa singularité justifient certainement qu'on le «finance à perte», pour reprendre les termes d'une logique du marché qui n'a pas lieu d'exister dans un contexte d'exception culturelle. Même en faisant abstraction de tous les effets secondaires bénéfiques, de nature économique, liés à l'industrie cinématographique, notre cinéma mérite que l'on y investisse tous les millions qui y sont investis, et plus encore.

Permettez que j'en fasse sursauter quelques-uns sur ma droite: on investit dans les hôpitaux parce qu'il faut se soigner, on investit dans les écoles parce qu'il faut s'instruire, on investit dans les routes parce qu'il faut se déplacer. On doit continuer d'investir dans le cinéma parce qu'il faut rêver, exister collectivement, s'exprimer grâce à des séquences d'images, à des cadrages, des scènes, des dialogues, des points de vue cinématographiques. Que l'on m'accuse d'être simpliste, romantique ou fleur bleue, je n'en ai cure!

Il y a huit ans, j'ai signé ma première chronique dans ce cahier. Celle-ci est la dernière. Je la termine avec un léger pincement au coeur, des centaines d'images en tête, conscient du privilège d'avoir pu la tenir si longtemps. N'ayez crainte (ou cessez de vous réjouir!), vous pourrez continuer de me lire dans le cahier des Arts.