C'était peut-être le timbre de sa voix, un trémolo à peine perceptible, ou une pause dans la phrase. Elle a dit: «Marcello est dans mon coeur.» Je ne la regardais pas. Je prenais des notes. Une larme s'est mise à couler sur ma joue.

«Quand j'ai vu cette photo magnifique de lui au-dessus des escaliers, j'ai pensé que je ne serais jamais seule ici à Cannes.» J'ai levé la tête. Elle pleurait elle aussi.

Sophia Loren, icône parmi les icônes, faisait l'objet hier d'une leçon de cinéma au Festival de Cannes, menée de main de maître par la journaliste française Danièle Heymann, spécialiste du cinéma italien.

Dans Hier, aujourd'hui et demain de Vittorio De Sica, Oscar du meilleur film en langue étrangère, «La Loren» livre l'un des plus célèbres stripteases du septième art, devant un Marcello Mastroianni médusé (auquel Robert Altman a fait un clin d'oeil dans Prêt-à-porter).

«La première fois que j'ai rencontré De Sica, il a voulu me faire passer une audition, a-t-elle raconté hier, dans un français impeccable. Je lui ai dit que chaque fois que je faisais des essais, on ne me prenait jamais. On me disait que ma bouche était trop grande, que mon nez était trop long. Je l'ai convaincu de me prendre sans faire d'audition.»

Dans son premier rôle pour De Sica, dans L'or de Naples, l'actrice napolitaine, symbole de sensualité aux yeux félins, interprète sans aucun doute la pizzaiola la plus sexy de l'histoire du cinéma. «Il a tenu parole et m'a convoquée pour un tournage trois jours plus tard, dit-elle. Ce fut mon premier rôle important; celui qui a lancé ma carrière de manière fulgurante. Je n'avais jamais pris de cours de théâtre. Je n'avais pas fait d'école.»

Elle avait en revanche une grâce et une beauté hors du commun. Elle est d'ailleurs toujours aussi élégante, à presque 80 ans. Dans un extrait vu hier pendant cette fascinante masterclass (comme on dit à Cannes), on l'entend se doublant elle-même aux côtés de Jean-Paul Belmondo dans une scène de La paysanne aux pieds nus (toujours de Vittorio De Sica), qui lui a valu le prix de la meilleure actrice au Festival de Cannes et l'Oscar de la meilleure interprétation féminine - une première pour une actrice «étrangère».

Elle n'était pas sur place à Hollywood pour recevoir la célèbre statuette dorée, en 1961. C'est Cary Grant, son partenaire de jeu dans Orgueil et passion de Stanley Kramer, qui l'a appelée pour la féliciter.

«J'avais peur de m'évanouir. J'aimais mieux m'évanouir chez moi que sur scène devant tout le monde!», a-t-elle raconté.

Les organisateurs des Oscars n'ont pas été rancuniers et l'ont invitée l'année suivante à présenter le prix d'interprétation masculine à Gregory Peck. Il lui rendit la pareille en 1991 en lui remettant un Oscar honorifique. «C'est pas mal la carrière que j'ai eue! dit-elle en souriant. Quand j'y pense, je n'y crois pas.»

Sophia Loren a tourné 14 films en 20 ans avec le célèbre réalisateur du Voleur de bicyclette. «On parlait la même langue, De Sica et moi. On était tous les deux napolitains. Nous n'avons jamais connu de difficultés pendant toutes ces années.» Le rôle de veuve dans La paysanne aux pieds nus, refusé par Anna Magnani, a complètement transformé sa carrière, dit-elle. «C'est un rôle difficile à trouver au cinéma, qui fut un tournant très important dans ma vie.»

L'actrice est de passage au Festival de Cannes pour présenter son plus récent film, La voix humaine, adaptation de la pièce de Cocteau tournée par son fils, Eduardo Ponti. Elle était présidente du jury qui remit le Grand Prix ex aequo (avant que n'existe la Palme d'or) à Un homme et une femme de Claude Lelouch et Ces messieurs dames de Pietro Germi, pour lequel elle avait milité. «J'étais très jeune, dit-elle. Ce jury me faisait peur!»

Sous ses allures de vamp, elle a toujours été très timide, assure-t-elle. Encore davantage à l'époque où elle cumulait les petits rôles, au début des années 50. «J'essayais de faire ma place dans le monde difficile du cinéma. Je n'avais pas, avec ma soeur et ma mère, un sou pour manger. Chaque fois que je jouais et que je dansais, je craignais de m'évanouir parce qu'on ne mangeait pas à notre faim», dit cette fille illégitime d'un ingénieur napolitain.

À la fin des années 50 et au début des années 60, Sophia Loren a fait carrière à Hollywood pour des réalisateurs tels que Carol Reed, George Cukor et Sidney Lumet. «Les Américains tournaient beaucoup en Italie parce que c'était moins cher. C'est comme ça que j'ai été repérée.»

Elle joua avec les plus grandes stars hollywoodiennes de l'époque: Cary Grant, Clark Gable, Frank Sinatra, Charlton Heston, Gregory Peck, ainsi que Marlon Brando, dans le tout dernier film de Charlie Chaplin, La comtesse de Hong-Kong.

«Chaplin était à Londres et voulait me voir. Il m'a dit que j'étais comme un violon et que si on savait en jouer, on pouvait en tirer de très belles notes. Ça m'a beaucoup touchée.»

Elle était intimidée par Marlon Brando, qui était déjà très connu à l'époque, mais, au premier jour de tournage, il est arrivé avec 45 minutes de retard. Chaplin était furieux.

«Chaplin lui a dit: «Tu penses faire ça tous les matins?» Brando a pris une voix toute petite - il n'avait pas vraiment une belle voix - et il a dit: «Je ne crois pas, non.» Il n'était pas très sympathique, mais c'était un très grand acteur. Il a commencé le film tout mince et il a mangé trop de glaces...»

Des fleurs pour Lafleur

La presse internationale n'est pas seulement tombée sous le charme de Mommy de Xavier Dolan. Tu dors Nicole de Stéphane Lafleur, présenté à la Quinzaine des réalisateurs, reçoit aussi sa part de lauriers. «Un film touchant, drôle, excentrique - dans le meilleur sens du terme -, magnifiquement filmé», écrit le magazine spécialisé The Hollywood Reporter, très élogieux, saluant la direction photo de la complice de Lafleur, Sara Mishara, et l'utilisation du 35 mm en noir et blanc.

«Tu dors Nicole est une série excentrique de scènes décalées propulsées par un humour à combustion lente, une trame sonore magnifique et d'agréables jets de créativité. Stéphane Lafleur, qui est musicien, se sert parfaitement des images en noir et blanc pour ce troisième long métrage non conventionnel et amusant», écrit de son côté le magazine spécialisé britannique Screen. «Un nouveau Frances Ha, l'humour absurde et une géniale bande-son post-rock en prime», ajoute Le Figaro. Voilà qui est de très bon augure.