Elle était belle à voir dimanche soir, au gala des prix Écrans canadiens. Gabrielle Marion-Rivard, acceptant tout sourire, en anglais puis en français, son prix de la meilleure actrice pour Gabrielle de Louise Archambault, sacré meilleur film de l'année.

Une victoire ironique pour celle qui ne sera même pas finaliste à la 16e Soirée des Jutra, dimanche prochain, dans cette même catégorie. Alors que pas moins de quatre de ses camarades de jeu ont été nommés dans les catégories d'interprétation.

Une absence que l'on s'explique encore plus mal dans les circonstances. La meilleure actrice de l'année au pays selon le Canada; une performance pas vraiment digne de mention selon le Québec? Deux solitudes dans l'appréciation du jeu.

Le fossé culturel québéco-canadien explique-t-il à lui seul que Gabrielle Marion-Rivard ait été écartée par le jury des Jutra? Ou est-ce parce que des comédiens québécois, formant un jury de pairs, ont jugé que les lacunes de son jeu, ses décrochages occasionnels, étaient assez importantes pour qu'elle ne soit pas considérée comme une potentielle lauréate, au même titre qu'une actrice professionnelle?

L'an dernier, une autre actrice non professionnelle, Rachel Mwanza, avait remporté le Jutra de la meilleure actrice pour Rebelle de Kim Nguyen. Auréolée, il faut dire, par son Ours d'argent de la meilleure interprète au Festival de Berlin.

La question est délicate: Gabrielle Marion-Rivard a-t-elle fait les frais d'une forme de corporatisme parce qu'elle est handicapée? Ou, au contraire, est-ce le refus de la complaisance, de la part de certains membres de l'Union des artistes, pour une actrice qui souffre d'un handicap qui explique sa non-sélection?

Il est évident que le jeu de Gabrielle n'est pas parfait dans le film de Louise Archambault. Je repense à une scène sur le balcon où elle a plus de difficulté à donner la réplique de façon naturelle à Mélissa Désormeaux-Poulin (qui interprète sa soeur).

Ces maladresses sont, à mon sens, largement compensées par l'énergie contagieuse, l'âme, le ton que Gabrielle donne, par son sourire, son rire, son chant, ses larmes, à ce très beau film. Une oeuvre singulière et émouvante qu'elle porte sur ses épaules, inspirée, lumineuse, incandescente.

Gabrielle, le film, ne serait pas le même sans Gabrielle, l'actrice. Sans sa capacité à traduire ses émotions dans son jeu. Il n'aurait pas, sans elle, la même charge émotive, la même force, la même résonance auprès du public. Cela est incontestable. Est-ce assez pour qu'elle mérite sa place parmi les meilleures actrices québécoises de l'année? À mon avis, oui.

Il n'y a, bien sûr, pas de système de vote parfait pour ce genre de remise de prix. Comme il n'y a pas de gala parfait. Celui des prix Écrans canadiens est présenté par quantité d'artistes canadiens qu'à peu près personne ne connaît au Québec et récompense des films - souvent québécois - qu'à peu près personne n'a vus au Canada.

Afin de remettre ses prix, un jury multidisciplinaire sélectionne les finalistes dans une catégorie donnée, puis un lauréat est choisi par l'ensemble des membres de l'Académie canadienne du cinéma et de la télévision (ACCT) travaillant dans le milieu du cinéma.

Le système des prix Jutra, souvent contesté, a été modifié au fil des années. Désormais, au premier tour, les finalistes sont choisis par des jurys de pairs constitués de 25 membres (les monteurs votent pour le meilleur montage, les réalisateurs pour la meilleure réalisation, et ainsi de suite) auxquels s'ajoutent trois jurés indépendants. Les gagnants sont ensuite élus au «scrutin universel» par les membres des différentes associations professionnelles du cinéma québécois.

La méthode des jurys de pairs reste le «moins pire des systèmes», selon Pierre Mondor, doctorant en communication à l'UQAM, qui a publié récemment sur la question, dans la revue spécialisée COMMposite, un article intitulé «La valeur des lauriers».

«Un jury unidisciplinaire est souhaitable, dans la mesure où il est préférable que des spécialistes évaluent le travail de leurs confrères dans leur champ d'expertise. Il n'y a pas mieux qu'un réalisateur pour évaluer le travail d'un réalisateur», dit M. Mondor, qui a travaillé pendant 30 ans comme réalisateur à la télévision.

Pour éviter le plus possible la complaisance et les conflits d'intérêts, Pierre Mondor, qui a interviewé de nombreux anciens jurés dans le cadre de cette recherche, estime que la meilleure façon de procéder est d'adjoindre à ce jury de pairs quelques experts, tels des universitaires ou des journalistes. La méthode justement préconisée par le gala des Jutra.

Bien qu'elle suscite de nombreuses critiques, l'évaluation par jurys de pairs reste le meilleur moyen de sélection que l'on ait trouvé pour célébrer l'excellence, croit cet universitaire, dont le mémoire de maîtrise portait sur la distribution de films au Québec et qui prépare une thèse sur le mode d'évaluation des projets par la SODEC et Téléfilm Canada.

«Cela reste un mode à perfectionner, bien sûr», dit-il, évoquant la subjectivité et les stratégies liées à ce genre d'exercice. Surtout au moment du scrutin universel (des quelque 6000 membres de l'ACCT, par exemple). «On peut voter sans avoir vu les oeuvres, rappelle Pierre Mondor. C'est une pratique très répandue, notamment en télévision. Certains producteurs l'ont d'ailleurs bien compris.»

Il y a deux ans, une controverse avait été soulevée par un «défaut de formulation» du bulletin de vote des prix Jutra (dixit Québec Cinéma, qui chapeaute le gala). On y précisait qu'il n'était pas nécessaire d'avoir vu tous les films avant de voter... Espérons que le sens du devoir a guidé à lui seul, cette année, la majorité des électeurs.