C'est le lot inévitable des dévoilements de finalistes à des galas de remises de prix: on remarque autant les heureux élus que les laissés-pour-compte. Surtout lorsqu'ils sautent aux yeux...

Au terme d'une année - il faut le rappeler - où le cinéma québécois a affiché de grandes qualités, les finalistes aux prix Jutra semblent avoir été éparpillés dans différentes catégories, sans logique apparente.

La tentation a sans doute été grande pour les différents jurys de saupoudrer des nominations à gauche et à droite afin de souligner la qualité d'ensemble de la production. Le résultat, malheureusement, n'est pas toujours cohérent.

Le grand «oublié» du dévoilement d'hier n'est pas un film. C'est l'audace. Dans les catégories de pointe, les sélectionneurs des Jutra ont privilégié des oeuvres plus conventionnelles et consensuelles, au détriment de propositions formelles plus audacieuses, originales et innovatrices.

Les meneurs de la course n'étonneront personne. Louis Cyr, l'un de nos trop rares bons films «populaires», a été sélectionné 11 fois (en plus de son prix du Billet d'or, qu'il a remporté sans difficulté). Gabrielle, dauphin de Louis Cyr au box-office et à mon sens le film québécois de l'année, suit de près avec neuf nominations.

À la surprise générale des critiques, l'un des longs métrages les plus originaux de la cuvée 2013, le remarquable ovni qu'est Le météore de François Delisle, a été complètement écarté de la liste des finalistes. Quant au lauréat du prestigieux Ours d'argent de l'innovation du dernier Festival de Berlin, Vic + Flo ont vu un ours de Denis Côté, il est nommé quatre fois, mais ne se retrouve pas dans la catégorie du meilleur film. En raison de leur originalité et de leur audace, je le répète, tous deux y méritaient leur place.

Sarah préfère la course de Chloé Robichaud, seul film québécois en sélection officielle au dernier Festival de Cannes, a été à l'instar du Météore (sélectionné à Sundance et à Berlin) écarté de toutes les catégories. Comme du reste Une jeune fille de Catherine Martin, présenté en première mondiale au Festival de Toronto.

Lorsqu'on sait que 21 longs métrages sur une possibilité de 39 ont été cités au moins une fois parmi les finalistes, on se questionne forcément sur le bien-fondé de ces omissions. Le succès international a beau ne pas faire foi de tout, voir des films sélectionnés dans les festivals les plus prestigieux de la planète être aussi peu considérés au Québec a quelque chose de troublant. Nul n'est prophète en son pays?

Le camouflet infligé au Météore, à Sarah préfère la course et à Une jeune fille n'est pas, à mon sens, la seule incongruité du tableau des finalistes dévoilé hier. Un seul film, Gabrielle, est nommé dans les trois catégories de pointe: scénario, réalisation, meilleur film. D'ordinaire, c'est la qualité des deux premiers qui est garante du troisième...

Le démantèlement, très beau film de Sébastien Pilote, est ainsi nommé six fois, mais étrangement, pas dans la catégorie du meilleur scénario. L'auteur-cinéaste avait pourtant remporté le Prix de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques de la Semaine de la critique de Cannes en mai. Pour son scénario.

Bien sûr que rien n'est parfait et que les jurys de pairs constituent le «moins pire des systèmes» pour ce genre d'exercice, où les choix sont souvent déchirants et difficiles. Soulignons la compétition particulièrement forte dans la catégorie du meilleur acteur, où s'affronteront notamment Gabriel Arcand (Le démantèlement), Antoine Bertrand (Louis Cyr) et Alexandre Landry (Gabrielle).

Gabrielle, sans Gabrielle

Il reste que je m'explique mal l'exclusion de la lumineuse Gabrielle Marion-Rivard de la catégorie de la meilleure actrice, alors que pas moins de quatre de ses partenaires de jeu sont en lice dans d'autres catégories, pour un film qui porte son nom...

Est-ce parce que Gabrielle a un handicap qu'elle a été moins considérée? La question est certes délicate. Elle se justifie selon moi par le fait que le succès du film de Louise Archambault repose en grande partie sur la capacité de son interprète principale à transmettre, même maladroitement, ses émotions à l'écran.

Enlevez Gabrielle, l'actrice, de l'équation et je suis convaincu que Gabrielle, le film, n'a pas la même force de frappe, la même charge émotive ni la même résonance auprès du public. Que la comédienne ait été snobée par la Soirée des Jutra alors que son «histoire» risque très fort d'en remporter les principaux prix me semble pour le moins ironique.

Pénélope McQuade et Laurent Paquin, les nouveaux animateurs du gala, auront fort à faire, le 23 mars à Radio-Canada, pour intéresser le public à la «plus grande célébration médiatique de notre milieu», comme le disait hier Ségolène Roederer, directrice de Québec Cinéma, maître d'oeuvre de la Soirée des Jutra.

La fréquentation du cinéma québécois est à son plus bas depuis des années, les têtes d'affiche s'annoncent peu nombreuses sur le tapis rouge, le gala n'a pas l'habitude de faire le plein de cotes d'écoute et à la principale chaîne concurrente, TVA, aura lieu le même soir la première émission en direct d'un concours de chant dont vous avez peut-être vaguement entendu parler: La voix...