Rachel Mwanza jouait presque son propre rôle dans Rebelle de Kim Nguyen. Encore plus que je ne l'imaginais. Il y a deux ans, à notre première rencontre, j'avais demandé à la jeune actrice congolaise si elle s'était inspirée des expériences de sa vie pour nourrir son personnage de Komona, une enfant-soldat. «Pas vraiment», m'avait-elle répondu, dans un français hésitant.

Elle avait 15 ans. Elle en a 17 aujourd'hui. L'adolescente que j'ai revue cette semaine, dans un appartement de Saint-Henri, est plus loquace (son français a beaucoup progressé), épanouie et sûre d'elle que celle qui était arrivée à Montréal en avril 2012 pour la première montréalaise de Rebelle.

Après avoir lu son autobiographie, Survivre pour voir ce jour (éditions Michalon), écrite dans un style direct et minimaliste par le journaliste montréalais d'origine congolaise Mbépongo Dédy Bilamba, je comprends pourquoi elle était si bouleversante de vérité dans le film de Kim Nguyen.

Dans Rebelle, qui lui a valu l'Ours d'argent de la meilleure actrice au Festival de Berlin (une première pour une Africaine), Rachel Mwanza incarnait une fille de 12 ans arrachée à l'insouciance de l'enfance, considérée comme une sorcière, battue, violée, affamée, droguée, devant tout subir afin de survivre dans la rue.

Ces épreuves, elle les a vécues. Le récit de sa jeune vie se lit comme une course à obstacles vers un bonheur incertain. Avec, à la clé, une fin de conte de fées, une dizaine de prix d'interprétation (au Festival de Tribeca notamment), une invitation à la soirée des Oscars et la possibilité d'une nouvelle vie, à Montréal, où elle aimerait s'établir.

Cette adolescente à la voix douce et au sourire fragile revient de loin. Des bas-fonds poussiéreux des quartiers les plus malfamés de Kinshasa. À 11 ans, en raison de superstitions auxquelles croit dur comme fer sa mère, elle est déclarée «sorcière». Sa mère, abandonnée par son mari alors que Rachel n'a que 9 ans, est convaincue que sa fille est la source des malheurs de sa famille, autrefois aisée, puis condamnée à l'indigence.

Elle confie Rachel à des charlatans qui, à fort prix, prétendent l'exorciser pendant des jours, la contraignent à rester nue devant eux des heures durant et lui font boire une mixture indigeste pour la «purifier». Sa vie tourne au cauchemar.

Sa mère quitte la famille pour l'Angola (elle ne l'a pas revue depuis), sa grand-mère, qui a sa charge, l'humilie, la bat, retourne ses frères et soeurs contre elle avant de la chasser de la maison familiale.

Rachel, sans ressources, devient une «shegué», une enfant de la rue. Sa soeur de 8 ans et elle sont violées par un homme qui a l'âge d'être leur grand-père. Elle se drogue pour s'anesthésier de ses malheurs, trouve refuge auprès d'autres enfants de la rue qui se prostituent, vend du chanvre, est confrontée à la violence. Son destin prend soudainement un virage pour le mieux le jour où Kim Nguyen, la préférant à des centaines de candidates, lui confie le premier rôle de son film.

«C'est un livre d'espoir, me dit-elle, lorsque je lui confie avoir été bouleversé par son récit. Je ne veux pas que les gens me prennent en pitié. J'ai voulu raconter mon histoire pour que l'on en sache davantage sur les enfants de la rue. Et pour que ces enfants sachent que si j'ai pu moi-même passer de la rue aux Oscars, tout est possible. Quand le coeur bat, il y a de l'espoir!»

Rachel est arrivée à Montréal il y a 10 jours, après une tournée médiatique en France pour son livre, parrainée par l'équipe de Rebelle, avec un visa d'étudiante. Le producteur Pierre Even et Kim Nguyen ont payé les coûts de son billet d'avion, et la productrice déléguée Anne-Marie Gélinas l'a accueillie chez elle. Ils craignaient que de retour à Kinshasa depuis un an, elle ne se retrouve de nouveau dans une situation précaire.

Rachel, qui n'a pas fréquenté l'école depuis l'âge de 8 ans, fera sa rentrée scolaire lundi, afin d'y suivre des cours de français. «Je ne suis pas analphabète! Je sais lire. On m'a dit que j'ai fait des progrès», précise-t-elle, de la fierté dans la voix. «Je me sens bien à Montréal. Il y a des gens qui m'aiment ici et qui s'occupent de moi.»

Ce ne fut pas toujours le cas. Elle est sans nouvelles de son père depuis des années. Et elle n'a pu parler à sa mère qu'il y a deux mois, après six ans de silence. «Je lui ai raconté ce qui m'était arrivé, le bien comme le mal. Elle a trouvé un nouveau mari en Angola, ils ont trois enfants», dit Rachel, qui a désormais neuf frères et soeurs. Compte-t-elle la revoir bientôt? «Pas tout de suite», dit-elle, une blessure dans le regard.

Elle souhaite poursuivre une carrière en cinéma. Elle compte suivre des cours de théâtre et écrit un scénario de film avec le coauteur de son livre. Mais elle se sent désormais investie d'une nouvelle mission: faire connaître au monde le véritable sort des enfants de la rue. Pour que la situation évolue, pour que les adultes ne fassent plus subir de telles épreuves à des mineurs.

Une fondation, établie à Kinshasa, a été mise sur pied en son nom et vise à venir en aide aux enfants de la rue grâce à un programme d'alphabétisation et de formation professionnelle. Si tout se passe comme prévu, elle deviendra bientôt ambassadrice de bonne volonté de l'UNESCO grâce au soutien de la ministre de la Francophonie de France, Yamina Benguigui.

«Ma vie aujourd'hui est comme un rêve. Mais je me réveille le matin dans un lit, les larmes aux yeux, en pensant à tous ceux qui sont toujours dans la rue. J'essaie d'oublier le mal que l'on m'a fait, mais je n'oublie pas tous les enfants qui n'ont pas eu ma chance.»

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