C'est certainement une sélection historique. Dallas Buyers Club de Jean-Marc Vallée est le premier film réalisé par un Québécois à concourir pour l'Oscar du meilleur film. C'est un exploit que l'on ne souligne pas seulement par chauvinisme. Le film a été cité à six reprises hier, dont quatre fois dans des catégories de pointe, à l'occasion du dévoilement des finalistes de la 86e soirée des Oscars.

Si cette histoire authentique d'un cowboy texan homophobe atteint du sida est indiscutablement américaine, elle a vu le jour grâce au soutien d'une équipe d'artisans québécois. Le succès de ce film que personne ne voulait financer à Hollywood, et que l'acteur Matthew McConaughey a tenu à bout de bras pendant des années, doit beaucoup à la vision que lui a insufflée Jean-Marc Vallée.

Le réalisateur de C.R.A.Z.Y. et de Café de Flore a fait des miracles avec un budget dérisoire pour un film américain, même produit de manière indépendante. Dallas Buyers Club a été tourné en seulement 25 jours pour 4,9 millions (la moyenne d'un budget de long métrage étant de 3,8 millions au Québec). Au pays de Bill Gates, on appelle ça des peanuts. Je ne connais pas la traduction en anglais de «tour de force».

Jean-Marc Vallée y est arrivé en s'entourant d'une équipe québécoise en qui il a confiance, notamment l'excellent directeur photo Yves Bélanger, Marc Côté aux effets visuels et le monteur de Café de Flore Martin Pensa, finaliste à l'Oscar du meilleur montage avec un certain John Mac McMurphy (qui serait un pseudonyme de Vallée).

Le cinéaste, se faisant étonnamment discret, n'a pas accordé d'entrevue hier, mais on ne lui aurait pas reproché de se péter un peu les bretelles.

Dallas Buyers Club a-t-il des chances d'être sacré meilleur film? On est bien sûr tenté de dire que tous les films qui sont sélectionnés ont des chances, d'autant que traditionnellement, la catégorie du montage est considérée comme un baromètre du grand gagnant de la soirée.

Si le soleil brille pour John Mac McMurphy, il pourrait aussi briller pour Jean-Marc Vallée. Très franchement, ce serait étonnant. Dallas Buyers Club est le film Cendrillon de cette course extrêmement relevée. C'est le finaliste que tout le monde semble un peu surpris de voir invité au bal. Probablement le moins attendu de tous les finalistes dans la catégorie la plus prestigieuse du gala.

Depuis quelques années, la catégorie du meilleur film a été ouverte à un nombre accru de finalistes (ils sont neuf, cette fois), pour contenter plus de gens de l'industrie et, surtout, rallier un plus grand public devant le téléviseur grâce à des films plus populaires. Plus les films sont populaires, plus le gala est regardé (en moyenne par 40 millions d'Américains). Or cette année, Gravity est le seul finaliste à l'Oscar du meilleur film à se trouver parmi les dix longs métrages les plus populaires du box-office nord-américain.

Peut-être que sous l'ancienne formule de cinq films, Dallas Buyers Club n'aurait pas été sélectionné, ce qui n'enlève rien à l'exploit de Jean-Marc Vallée. Très bien reçu par la critique à sa sortie en salle en octobre, le film ne se trouvait pas pour autant sur le radar des pronostiqueurs des Oscars - ils sont légion - avant le mois dernier environ.

Début septembre, porté par la rumeur favorable du Festival de Toronto, rampe de lancement de bien des films oscarisés (tel Argo de Ben Affleck l'an dernier), on aurait davantage misé sur la probabilité que ce soit Prisoners de Denis Villeneuve qui se retrouve dans les catégories de pointe. Le film devra se contenter d'une seule sélection, pour la direction photo du grand Roger Deakins, qu'espérait d'ailleurs pour lui le réalisateur d'Incendies.

Si Dallas Buyers Club fait figure de négligé dans la catégorie du meilleur film, en cette année d'exceptionnelle qualité, ses interprètes principaux, Matthew McConaughey et Jared Leto, tous deux excellents, sont favoris dans leur catégorie respective (meilleur acteur, meilleur acteur dans un rôle de soutien).

Les électeurs des Oscars ont toujours apprécié les transformations physiques impressionnantes chez les acteurs. Il est vrai que celle de McConaughey, abonné d'ordinaire aux rôles de beaux Brummell musclés, est sidérante (il a perdu 20 kilos pour le rôle). Mais la subtile transformation psychologique de son personnage et la manière dont il la transmet à l'écran sont tout aussi remarquables. Comme du reste celle de Jared Leto en transsexuel toxicomane.

Des performances magnifiées par la mise en scène inspirée de Jean-Marc Vallée, qui mérite toutes les accolades qu'il reçoit cette semaine.