Il y a une raison, me disait Simon, il y a une raison pour laquelle on se souvient de Béla Bartók, 70 ans après sa mort. Son oeuvre est mémorable.

Il l'avait dit, quelques jours plus tôt, à des collègues de travail, médusés d'apprendre qu'il ne connaissait pas telle vedette populaire. Une vedette de la télé, ou de la chanson, il ne sait plus, il a déjà oublié. Dans 70 ans, tout le monde aura oublié.

Simon, c'est mon ami bougon. Je l'aime comme un frère. On se connaît depuis plus de 20 ans. Pas snob pour deux sous. Le contraire d'un snob: parfaitement imperméable aux effets de mode.

Il correspond pourtant à l'idée que certains se font d'un snob. Il est abonné au Devoir et à La Licorne, il habite en plein coeur du Plateau Mont-Royal et il n'a pas la télé. Il ne s'en vante pas. Ce n'est pas une posture (qu'est-ce que le snobisme sinon une posture?). Il rattrape ce qui en vaut la peine sur Tou.tv., s'évitant des heures perdues à chercher une aiguille dans une botte de foin.

Simon est un passionné et un érudit de musique. Le jazz, la musique classique, la musique du monde, le rock... Plus jeune, il est passé du punk californien au rock progressif britannique, puis de Miles Davis à Cat Power.

Il a un faible pour les chanteuses. Pourtant, il ne connaît pas Marie-Mai, ne soupçonne pas l'existence de La voix à TVA, n'a jamais vu Patrick Lagacé à la télé, ne regarde pas l'émission de Guy A., n'écoute pas davantage la radio, même celle de Marie-France Bazzo.

Il n'a pas été surpris que Véronique Cloutier quitte l'animation des Enfants de la télé alors que son émission est au sommet de sa popularité. Il ne savait pas qu'elle l'animait. Mais il croit, comme elle, qu'il y a autre chose à faire dans la vie que de la télé. Même quand on s'appelle Véronique Cloutier.

Simon ne lira pas cette chronique, il n'ira pas voir les nouvelles aventures des Boys au cinéma, il n'est pas sur Twitter. Il est trop occupé à apprendre à jouer du Bartók, à rêver de son prochain voyage au Maroc, à lire, à profiter de la présence de sa blonde et de ses filles, à faire de l'escalade avec des amis.

Simon n'a pas la télé. Ce n'est pas par snobisme. Ce n'est pas pour faire chic. Il s'en contrefiche. Et il ne s'en porte pas plus mal.

Le temps long

Le «temps long». J'ai pensé à cette expression qu'affectionne Dany Laferrière en découvrant la dernière sensation de la télévision norvégienne. La «Slow TV» bat des records d'audience sur la chaîne publique NHK grâce à des images de paysages bucoliques, de bateaux glissant dans les fjords, de feux de foyer et de tricot (de la tonte du mouton jusqu'à la dernière maille du foulard).

Quelque 3,2 millions de téléspectateurs (la Norvège compte 5 millions d'habitants) ont suivi à la télévision nationale norvégienne le parcours d'un paquebot se promenant le long des côtes. La télédiffusion du voyage a duré cinq jours, sans interruption. Et les deux tiers des Norvégiens, à un moment ou un autre, y ont jeté un coup d'oeil...

Cette nouvelle forme de «téléréalité» aurait des vertus méditatives, selon des spécialistes interrogés par l'Agence France-Presse. «Quand la plupart des chaînes optent pour les mêmes programmes formatés ayant recours aux mêmes ressorts, il est tentant de s'engouffrer dans une niche qui va à contre-courant, selon Arve Hjelseth, sociologue à l'Université de Trondheim. La «Slow TV», c'est pour les gens l'occasion de se poser, de se détendre, de méditer.»

C'est peut-être en ayant à coeur la santé mentale des Québécois que Vidéotron propose pendant le temps des Fêtes des images apaisantes de feux de foyer, aux chaînes 552 (avec musique de Noël en sus) et 553 (des sons de crépitement de flammes, sans autre distraction).

Une téléréalité moins abrutissante qu'Occupation double à TVA, moins insignifiante qu'Allume-moi à V et plus intéressante que le Choc des générations à Radio-Canada.

La cloche et l'idiot

Je me souviens d'une vieille chronique de Foglia qui parlait de chroniques, justement, comme de sons de cloche. Il y avait la cloche Dubuc, la cloche Martineau, la cloche Bissonnette. Parfois, ça faisait beaucoup de sons de cloche simultanément. Je venais d'entrer à La Presse comme journaliste surnuméraire aux informations générales.

Vingt ans plus tard, il y a tellement de sons de cloche dans les médias (traditionnels et autres) qu'il est devenu difficile de les distinguer les uns des autres dans le tintamarre. Chacun tente de faire résonner sa cloche plus fort que son voisin. Le gros magma de bruit donne la migraine.

Aujourd'hui, tout le monde a voix au chapitre. Chacun est son propre média. Blogueurs, microblogueurs, billettistes, polémistes et chroniqueurs s'égosillent (moi le premier) sur toutes sortes de sujets d'actualité. Le flot d'opinions est si grand que le temps accordé au son de cloche même le plus clair et pertinent est de moins en moins grand.

En cette fin d'année, plusieurs «stratèges des médias» annoncent la mort imminente du journalisme tel qu'on le connaît. Les journaux en arrachent un peu partout, les journalistes sont moins nombreux à trouver du travail. Le journalisme citoyen a la cote. L'individualisme d'une génération s'est transformé en phénomène médiatique. Moi, moi, moi, le média.

Si la tendance se maintient, il y aura un jour, tous médias confondus, plus de «leaders d'opinion» que de cueilleurs d'information pour débusquer des scandales, dévoiler la vérité et nourrir leurs réflexions. On pourra écouter le bruit indistinct des cloches. En espérant ne pas devenir sourds. Ou idiots.