L'humoriste Anne-Marie Dupras en a ras le bol qu'on la présente sur scène en parlant de son corps, de son sexe et de sa sexualité. «Un animateur a déjà dit dans un spectacle que j'avais couché avec cinq producteurs et avec lui dans l'après-midi, ce qui expliquait ma présence sur scène.» Excellente blague...

L'humoriste a pris la parole à l'issue d'une table ronde sur les femmes et l'humour, animée mercredi par Chantal Lamarre dans le cadre du colloque L'humour sens dessus dessous, à l'UQAM. Elle n'est pas la seule à faire les frais de ces blagues de taverne encore largement répandues, semble-t-il, dans le milieu de l'humour.

«J'ai vécu ça au moins cent fois, dit Kim Lizotte, qui participait à la table ronde. Quand ce n'est pas un commentaire sur ton physique, c'est le classique: «Attention, notre prochaine invitée est une fille!» L'humour féminin est devenu une catégorie au même titre que l'humour absurde, l'humour politique ou l'humour d'observation.»

La culture machiste du circuit des spectacles d'humour ne semble pas différente de celle qui prévaut dans plusieurs autres milieux de travail. On tolérerait mal qu'un mononcle fasse à répétition des blagues à connotation sexuelle sur une collègue de bureau. Dans le milieu de l'humour, cela semble quasi toléré. Comme le sexisme ordinaire de la culture populaire.

«On m'a déjà annoncée sur scène en disant que je suçais bien», dit Anne-Marie Dupras, qui fait partie du duo Les Zélées. «J'ai vu récemment un jeune humoriste faire une joke de sperme sur le visage d'une fille en mimant tout le long qu'il l'enculait. Ça existe encore», se désole Lise Dion.

On ne s'étonne pas, dans les circonstances, de la difficulté qu'ont les femmes à faire leur place dans le milieu de l'humour. Ni du reste dans le monde médiatique. Les femmes restent très stigmatisées, constate Kim Lizotte, qui participe notamment à l'émission Selon l'opinion comique à MAtv.

«Pour les producteurs, engager une fille, c'est comme prendre un risque, dit-elle. C'est vraiment un boys club, l'humour. Que l'on remette encore en question le sens de l'humour des femmes en 2013, c'est assez incroyable!»

Comme ailleurs, l'humour semble être un univers de deux poids, deux mesures.

«Le préjugé dans le milieu de l'humour, c'est qu'une fille, ce n'est pas rentable», dit Mélanie Couture, humoriste et sexologue, qui qualifie elle-même son humour de «grivois». «Le problème des femmes en humour, c'est surtout l'accès au public, ajoute Lise Dion. Une fois qu'on a accès au public, on sait que ça peut marcher. Mais l'industrie nous donne difficilement cet accès.»

Émilie Ouellette s'est lassée d'attendre qu'on lui donne sa chance. Cette «clown thérapeutique» produit ses propres spectacles, où elle parle notamment de sa maternité, de ses enfants, pour un public de mères accompagnées de leurs enfants. Elle a de la répartie et de l'esprit à revendre. Voilà une artiste de talent qui mériterait d'être connue d'un plus large public, me suis-je dit mercredi.

C'est sans doute le cas de plusieurs parmi celles qui assistaient au colloque, dans une salle pour la moitié remplie d'étudiantes de l'École nationale de l'humour et de femmes qui rêvent d'éventuellement vivre de leur art comme Lise Dion.

Elles devront prendre leur mal en patience. Quelques heures après les avoir quittées, j'ai appris que le talk-show le plus populaire du Québec avait invité pour son enregistrement de mercredi soir un jeune «humoriste» qui doit sa soudaine notoriété à des propos incroyablement sexistes. L'ironie, toi...

On aime se targuer ces jours-ci de l'importance que l'on accorde, «nous», à l'égalité hommes-femmes. En pointant du doigt la couleur du voile des «autres». Et en excusant ceux qui, derrière le paravent si commode de l'humour, nomment leur bière La Petite pute ou La Blonde facile, ou banalisent les dérapages misogynes sur le web.

Plusieurs jeunes humoristes et étudiantes demandaient conseil hier à Lise Dion, qui après 25 ans de métier avoue sans hésitation que si c'était à recommencer, elle n'aurait pas le courage de livrer toutes ces batailles. «C'est dur pour tout le monde de faire ce métier-là, mais c'est encore plus dur quand on est une femme. Le mot qui résume ma carrière, c'est persévérance.»

On dira que je suis cynique, mais si un jeune homme humoriste me demandait à mon tour comment se faire remarquer par les médias, je lui répondrais ceci: sois le plus dégueulasse, le plus ignoble, le plus abject, le plus répugnant, le plus outrancier possible. Parle-nous de ce que tu ferais au lit à une jeune actrice, le jour même où des médias publient le faux potin de sa séparation d'avec le père de ses enfants.

Ne lésine pas sur les détails scabreux. Laisse fleurir ton imagination nourrie de porno sordide et de mauvais goût. Qui sait? Peut-être qu'un média en perte de vitesse t'offrira une job pour faire parler de lui? Peut-être même qu'il s'en félicitera le jour où tu seras invité à Tout le monde en parle? Afin que tu puisses dire à Guy, à Dany et à leurs 1,5 million de téléspectateurs, sans rire, comment tu repousses avec «fucking audace» les limites ironiques de l'humour 2.0.

Je t'entends déjà leur dire: «Qu'est-ce que vous voulez? Le web a changé. Tasse-toé, mononcle.» Ben oui, mon petit Mozart, les gens et les temps changent. On ne peut pas arrêter l'évolution de l'homme et de son ordinateur. Même quand il nous ramène à l'ère des troglodytes.