Aveu: j'ai souri. Pas tellement à la blague (moyenne) qu'à l'audace. À la provocation. À la réaction vive qui n'allait pas se faire attendre. Oui, j'ai souri. Je sais, je devrais en avoir honte. Je m'autoflagellerai 10 fois ce soir en écoutant une chanson très populaire de Marc Dupré.

Le libellé de la blague: «Qui choisiriez-vous comme leader? Marois ou Rob Ford? En fait, je fais plus confiance au consommateur de crack.» Deux questions et une réponse tirées d'une publicité du spectacle You're Gonna Rire de Sugar Sammy, affichée sur le compte Facebook de l'humoriste et retirée hier matin (après avoir provoqué un tollé).

On y voit, juxtaposées, une photo officielle de Pauline Marois et celle, peu flatteuse, du maire de Toronto Rob Ford, le visage empourpré, la bouche grande ouverte, les yeux dans le même trou. Le message de l'humoriste ne saurait être plus clair: malgré les apparences, je fais plus confiance au clown à droite qu'à la première ministre à gauche.

J'ai eu beau examiner l'affiche sous tous ses angles, je n'ai pas réussi à m'en offusquer. Parce que c'est une blague. Et parce que Sugar Sammy, dans ses envies de transgression et de provocation, dans sa manière de tester les limites et la tolérance de son public, me fait souvent sourire.

Je suis d'ailleurs d'accord avec ma collègue Nathalie Petrowski (une fois n'est pas coutume): Sugar Sammy est plus efficace, plus caustique, plus irrévérencieux et pertinent dans son humour politico-social que lorsqu'il se contente de faire des blagues de macho éculées sur les relations de couple.

L'humoriste, dont le public est à la fois francophone et anglophone, québécois et international, n'a jamais caché, sous une épaisse couche d'ironie, son incompréhension des aspirations nationales d'une bonne partie de la société québécoise. C'est le lot de bien des gens de «l'autre solitude». Et de ceux qui se trouvent au milieu, entre différentes cultures.

Sugar Sammy préfère en rire et parie que son public, qu'il soit indépendantiste ou fédéraliste, francophone ou anglophone, saura lui aussi s'en amuser. L'humour est un art de perspective et de connivence.

Sugar Sammy fait des blagues du point de vue d'un fils d'immigrants indiens ayant grandi dans le quartier multiculturel de Côte-des-Neiges, à Montréal.

Et il est l'un des rares humoristes québécois à oser tourner en dérision ces jours-ci le principal «argument de vente» électoraliste du Parti québécois.

J'ai souri à sa dernière provocation. À sa façon de caricaturer, et d'une certaine façon «diaboliser» le Parti québécois et sa chef. Avec Sugar Sammy, une blague sur les indépendantistes n'attend pas l'autre. C'est de bonne guerre. Je ne l'ai jamais pris «personnel». L'autodérision n'a jamais fait de tort à personne.

Cela dit, je peux comprendre que certains trouvent cette frasque publicitaire de mauvais goût. En comparant un politicien toxicomane ayant proféré des menaces de mort à une politicienne qui a été menacée de mort, Sugar Sammy ne fait pas dans la dentelle. Le contraste est saisissant.

L'humour, justement, est un art de contrastes. Et de surprise. Ici, à mon sens, l'effet est plus ou moins réussi. Mais est-ce pour autant du «Quebec-bashing» ou de la misogynie? Si le gag avait mis en scène Stephen Harper plutôt que Pauline Marois, j'aurais souri tout autant. Et je n'aurais pas été le seul. On a souvent l'indignation à géométrie variable.

Cette blague est certainement une provocation. Mais ce n'est pas une provocation inutile ni une blague vide de sens. C'est une caricature, un commentaire politique, sur la confiance. Autant je comprends que certains en aient été vexés, autant je comprends la méfiance de Sugar Sammy envers le gouvernement Marois (illustrée ici de la manière la plus grotesque).

Cette méfiance a été clairement exprimée dimanche, à Tout le monde en parle, par ma consoeur Chantal Hébert, qui a comparé les tactiques obscurantistes et populistes de Pauline Marois dans le débat sur la Charte à celles de Stephen Harper.

Le refus du gouvernement péquiste de rendre publics les avis juridiques qu'il a lui-même commandés, de définir le nombre de personnes touchées par les interdictions prévues à sa Charte, de tenir compte des avis d'experts (auxquels il préfère la rumeur de la rue) rappelle les méthodes du gouvernement conservateur. «Ça ne fait pas un débat éclairé et c'est la méthode Harper», dit la chroniqueuse politique.

Certains diront que Chantal Hébert est Franco-Ontarienne et que sa perspective sur ce débat est teintée par ses origines. C'est possible. Sugar Sammy, qui représente de tout son être l'ostentation, a sa propre perspective sur ce débat. «Tu sais que la Charte va trop loin quand Parizeau dit que ça va trop loin», a-t-il récemment écrit sur Twitter.

Chacun a sa perspective, qu'il soit féministe, juriste, immigrant, croyant, athée, homosexuel... Hier, sur sa page Facebook, Sugar Sammy se faisait traiter de tous les noms. Plusieurs ne témoignant pas de la proverbiale «ouverture à l'autre» - on me pardonnera l'euphémisme - de la société québécoise. C'est le prix à payer, à l'ère des réseaux sociaux, pour une opinion controversée exprimée publiquement.

Espérons que cela n'ait pas pour effet de décourager les humoristes de parler de politique. J'ai vu récemment Gad Elmaleh regretter sur scène la seule phrase de son spectacle faisant référence à la Charte («N'ayez pas peur!»). Le silence dans la salle témoignait de la mauvaise réception de ce commentaire d'un «étranger» s'immisçant dans les affaires nationales québécoises.

L'humour doit pourtant servir à autre chose que de rire de l'embonpoint de Denis Coderre ou de celui de Rob Ford. Tous deux méritent que l'on se moque d'eux pour d'autres raisons. Et ils ne sont pas les seuls.