Cinquante ans après la Révolution tranquille, où allons-nous? se demande la journaliste Francine Pelletier dans son nouveau film, La croisée des chemins, présenté samedi soir et le jeudi 17 octobre, à 17 h, dans le cadre du Festival du nouveau cinéma. Un documentaire qui pose plus de questions qu'il n'obtient de réponses.

On avait annoncé le portrait croisé de deux hommes de deux générations, Gabriel Nadeau-Dubois et Jean-François Lisée - tous deux natifs de Thetford Mines -, que la documentariste a suivis durant l'été 2012, juste après le printemps étudiant et à la veille des élections provinciales. La croisée des chemins est davantage un instantané du Québec qui, un an plus tard, est déjà ailleurs, tiraillé par de nouvelles querelles.

Francine Pelletier est bien consciente que son film, qui sera diffusé à la télévision de Radio-Canada à une date encore indéterminée, est déjà déphasé. C'est parfois inévitable. Elle s'apprêtait d'ailleurs à tourner un documentaire sur la débâcle du Bloc québécois aux dernières élections fédérales lorsque la grève étudiante a éclaté. Elle a saisi la balle au bond.

«Ce que je trouve intéressant, ce n'est pas seulement où va le nationalisme québécois, mais où va le Québec, dit-elle. Parce que pour moi, ces jeunes-là reposent les grandes questions de la Révolution tranquille que l'on n'osait plus poser.»

Le «sang neuf»

La cinéaste a donc décidé de suivre pendant une saison Gabriel Nadeau-Dubois, leader charismatique du mouvement étudiant, et Jean-François Lisée, qui incarne selon elle le «sang neuf» au Parti québécois. Avec, ça et là, la présence d'autres personnages, dont Gilles Duceppe, qui arrive dans le documentaire comme un cheveu gris sur la soupe nationaliste.

«Pour moi, l'intérêt du film, c'est qu'il y a deux personnes qui se ressemblent, à une génération d'écart, mais qui sont en fait très éloignées sur le plan des idées, dit Francine Pelletier. Même si la plupart de ces jeunes-là sont nationalistes dans l'âme, ce n'est pas leur combat, contrairement à la génération plus vieille, qui porte des ornières lorsqu'il est question de l'indépendance.»

Elle l'illustre assez bien dans son film à travers le discours de Jean-François Lisée, clair et cohérent, mais teinté d'un optimisme à tout crin flirtant avec le jovialisme. Le ministre des Relations internationales ne voit pas, par exemple, comment le PQ pourrait perdre un troisième référendum et dit, en parlant de René Lévesque: «J'aimerais ça qu'il soit fier de nous. Quand je le dis, je suis ému.» Ces jours-ci, certains n'en sont pas convaincus...

«C'est un peu le piège de la politique, croit Francine Pelletier. On répète toujours le même message, en se faisant croire que tout va bien. Cela dit, avoir su tout ce que Jean-François nous préparait, je pense que le film aurait été différent. Tout ce qui se passe en ce moment est tout aussi intéressant et, pour moi, bouleversant dans un sens contraire, que tout ce qui s'est passé lors du printemps érable.»

Le projet de charte des valeurs est l'aboutissement de la déception des nationalistes après le référendum de 1995 et la fameuse déclaration de Jacques Parizeau sur «l'argent et le vote ethnique», croit Francine Pelletier. «Monsieur Parizeau aurait dû s'excuser à l'époque. Ça aurait été plus simple pour lui. Parce que c'était vraiment une bévue. Ça ne collait pas à l'homme qu'il est. Ce qu'il a écrit sur la Charte la semaine dernière lui ressemble davantage», dit la cinéaste de Monsieur (2003), un documentaire portant sur l'ancien premier ministre.

Le nationalisme «ouvert sur le monde» du Parti québécois se transforme en nationalisme «d'affirmation identitaire», selon Francine Pelletier, qui s'inquiète de cette mutation et de l'influence actuelle sur le gouvernement de jeunes intellectuels «réactionnaires», tels Mathieu Bock-Côté et Simon-Pierre Savard-Tremblay (président de Génération nationale).

La cinéaste partage le désarroi de Gabriel Nadeau-Dubois qui déclare dans son film que «la fenêtre du mouvement étudiant est en train d'être refermée par le gouvernement du PQ».

«On mesure l'immensité de ce qu'il avait à faire, dit-elle de Nadeau-Dubois. Il était perçu comme un radical par la population et comme une couille molle par certains dans le mouvement étudiant. Et il a réussi à ne trahir personne! C'était tout à son honneur de démissionner.»

La cinéaste admet avoir eu un accès beaucoup plus facile à Gabriel Nadeau-Dubois qu'à Jean-François Lisée, que l'on voit, dans une scène qui manque de spontanéité, dînant avec Gilles Duceppe. Elle nous fait découvrir avec plaisir le grand-père de GND, qui cultive son jardin loin des cercles intellectuels (et est un partisan de Jean Charest), ainsi que sa mère, qui se désole qu'on l'ait traité d'enfant-roi.

Francine Pelletier a d'ailleurs songé un moment à se contenter de faire le portrait de Gabriel Nadeau-Dubois (qui a lancé cette semaine Tenir tête, un essai sur la crise étudiante). «Je n'ai pas voulu renier mes instincts premiers, dit-elle. Et je savais qu'il allait y avoir plusieurs films sur le printemps érable.»

La Charte

Comment cette féministe, cofondatrice de la revue La vie en rose, perçoit-elle la fracture actuelle dans le milieu féministe autour du projet de charte des valeurs québécoises?

«Je me suis battue toute ma vie pour l'égalité homme femme et, effectivement, le voile n'est pas la chose qui me plaît le plus au monde, dit-elle. Mais il faut aller au-delà de ce que l'on pense voir. Dans cette certitude qu'il faut absolument interdire le voile, on établit une autre religion, qui se permet de dire ce qui est ou non interdit. Lorsqu'on prend quelque chose de sacré pour moi et pour bien d'autres - l'égalité homme femme -, et qu'on s'en sert n'importe comment, ça me met hors de moi!»