Claude Chamberlan est arrivé sur scène pour le dévoilement de la programmation du Festival du nouveau cinéma, il y a dix jours, avec «trois nouvelles» à annoncer. L'après-midi même avaient lieu une manifestation de soutien à Tarek Loubani et John Greyson, toujours détenus en Égypte, ainsi qu'une commémoration en l'honneur du cinéaste Arthur Lamothe.

La troisième nouvelle? «J'habite à 100 km de Montréal, dans les Cantons de l'Est, et je me cherche un logement pendant le festival», a-t-il déclaré, demandant si quelqu'un pouvait le dépanner. Du pur Chamberlan. Oui, il était sérieux. Et heureusement, il a trouvé où se loger. «J'étais un peu tanné d'aller chez mes anciennes blondes!», m'a-t-il dit cette semaine en riant.

Claude Chamberlan prépare des «surprises» pour le festival qu'il a cofondé avec Dimitri Eipides en 1971. Il a travaillé fort pour cette «récolte d'or» et semble très fier du «millésime d'exception» qu'est selon lui ce 42e Festival du nouveau cinéma, qui s'ouvre mercredi avec Triptyque, de Robert Lepage et Pedro Pires.

Il regrette bien sûr quelques morceaux de choix qui lui ont échappé: les Twelve Years a Slave de Steve McQueen, Dallas Buyers Club de Jean-Marc Vallée et autres Enemy de Denis Villeneuve (tous bien reçus au Festival de Toronto).

«C'est toujours une grande frustration de se faire dire non! J'avais présenté les deux premiers films de Steve McQueen au festival. J'essaie de mettre la main sur son dernier depuis deux mois. Mais c'est toujours compliqué quand on doit passer par Hollywood. Je dépense sincèrement la moitié de mes énergies à négocier avec des studios américains pour une seule projection d'un film dans une salle de 200 personnes. C'est ridicule.»

Heureusement, parfois, le jeu en vaut la chandelle. L'an dernier, Chamberlan avait fait des pieds et des mains pour obtenir Life of Pi d'Ang Lee, autre cinéaste dont il avait présenté les premiers films. «Tous les festivals ont besoin de locomotives pour payer le loyer, dit-il. Même Cannes. Mais il y a surtout plein de découvertes à faire.»

Ce n'est pas, du reste, à Toronto, dont les dates sont trop rapprochées du FNC, que Chamberlan arrive à obtenir la plupart de ses films. Les choses se passent davantage en amont, au cours de l'été. «Je ne vais plus à Toronto, dit-il. C'est devenu trop corporate pour moi. Mon arme, c'est le téléphone!»

Il estime avoir obtenu plusieurs titres à force de négocier («la séduction, c'est tout ce qu'il me reste», dit-il en riant). Et il maintient, comme il l'avait affirmé lors du dévoilement de sa programmation, que le FNC est «le festival de films le plus sexy des Amériques». J'avais osé écrire le lendemain qu'il exagérait un peu, ce qui, bien sûr, n'est pas dans ses habitudes...

On ne s'ennuie jamais lorsqu'on discute avec Claude Chamberlan. Il me raconte comment il a croisé Ang Lee à Cannes en mai, en allant saluer Steven Spielberg. Il aime les cinéastes. Certains sont devenus des amis. Wim Wenders, notamment, qu'il accueille ces jours-ci comme un membre de sa famille. Il fera d'ailleurs, en principe, une petite apparition dans Everything Will Be Fine, que le cinéaste de Paris, Texas tourne actuellement à Montréal avec James Franco, Charlotte Gainsbourg et Marie-Josée Croze.

Il me parle aussi d'Abdellatif Kechiche, qu'il connaît depuis ses débuts, et qui l'a invité sur scène le mois dernier, lors de la première montréalaise de La vie d'Adèle à l'Impérial. «Je ne m'attendais pas à ça. Tout le monde était chic. J'étais en culottes courtes!» Kechiche, qui aurait bien voulu présenter son film au FNC, mais dont la sortie au Québec (simultanée avec la France) a lieu le même jour que l'ouverture du festival. «J'espère que Claude ne m'en voudra pas, m'a confié le cinéaste. Il y a des décisions qui ne sont pas de mon ressort!»

La liste des invités du Festival du nouveau cinéma, sans être exceptionnelle, reste de bonne tenue, cette année, avec les frères Larrieu, Claire Simon, Atom Egoyan (un ami du festival), Amat Escalante et autres Bruce LaBruce.

Claude Chamberlan est particulièrement fier d'accueillir Jonas Meekas, à qui sera remise la Louve d'honneur. Le cinéaste de 90 ans, fer de lance du cinéma d'avant-garde américain, a consacré sa vie à la préservation de films. «J'essaie de l'attirer au Festival depuis 40 ans et c'est Philippe Gajan [un programmateur] qui a réussi le coup! Je l'ai rencontré pour la première fois avec Timothy Leary à New York. J'avais 19 ans et j'étais très impressionné.»

Ce qui lui fait le plus plaisir cette année? Que son festival témoigne d'une évolution du cinéma québécois vers des voix plus variées et une représentation accrue de la diversité culturelle. «J'ai vraiment un coup de coeur pour notre programmation québécoise et pour ce qui se passe au Québec, dit-il. Il y a des cinéastes québécois d'origine turque, syrienne au Festival. Des cinéastes autochtones. Il y a des perles. On commence enfin à voir cette mixité. J'attendais ça depuis longtemps.»

Et pourquoi, selon lui, n'a-t-on pas vu cette diversité plus tôt à l'écran? «Ç'aurait pu arriver il y a dix ans, dit-il. Je pense que le blocage s'est longtemps fait dans l'aide à la production. Pour moi, c'est clair qu'il y avait une forme de discrimination dans les institutions comme la SODEC et Téléfilm Canada. Tu sais, quand on ne s'appelle pas Tremblay et qu'on ne correspond pas aux valeurs de Pauline...»