Le dramaturge québécois Michel Marc Bouchard s'inquiète pour son ami John Greyson. Le cinéaste torontois et l'urgentologue ontarien Tarek Loubani croupissent dans une prison égyptienne depuis plus d'un mois, sans motif apparent ou déclaré.

Lundi, Greyson et Loubani ont entamé une grève de la faim et ne se nourrissent plus que de fruits. Ils auraient quitté dimanche la cellule (munie d'une seule toilette) qu'ils occupaient en permanence avec 38 autres prisonniers, mais demeureront incarcérés au Caire pour au moins une dizaine de jours.

Greyson et Loubani font vraisemblablement, selon leurs proches, l'objet d'une détention arbitraire. Ils ont été arrêtés le 16 août, dans la foulée du coup d'État contre le président Mohamed Morsi. Égarés dans les rues de la capitale égyptienne après le couvre-feu, ils se seraient rendus dans un poste de police pour demander de l'aide afin de retrouver leur hôtel. Ils sont détenus depuis.

Tous deux devaient se rendre en voiture du Caire à Gaza, où le Dr Loubani, d'origine palestinienne, participe à un projet d'aide médicale humanitaire et où John Greyson, en repérage, doit tourner un film. Ils se sont trouvés «au mauvais endroit, au mauvais moment», croit le gouvernement canadien.

Lundi, la ministre d'État aux Affaires étrangères et consulaires, Lynne Yelich, a déclaré que son gouvernement était «déçu» de la tournure des événements, après que les autorités égyptiennes eurent prolongé la détention de Greyson et Loubani d'au moins deux semaines.

Les deux hommes pourraient théoriquement rester écroués pendant deux ans au Caire sans qu'aucune accusation formelle ne soit requise par les autorités égyptiennes, en vertu de l'état d'urgence décrété pendant la crise des derniers mois.

La communauté cinématographique se mobilise ces jours-ci pour faire pression sur l'Égypte afin que Loubani et Greyson soient libérés le plus tôt possible. Plus de 300 artistes, auteurs, acteurs et cinéastes ont signé une lettre ouverte à cet effet, dévoilée la semaine dernière au Festival international du film de Toronto (TIFF), dont Alec Baldwin, Arundhati Roy, Atom Egoyan, Ben Affleck, Charlize Theron, Danny Glover, Sarah Polley, Naomi Klein et Michael Ondaatje.

«On mesure l'importance de John comme cinéaste lorsqu'on voit ce genre de mobilisation», constate Michel Marc Bouchard, ami de Greyson depuis que ce dernier a adapté pour le cinéma sa pièce Les feluettes. Lilies (1996), scénarisée par Bouchard, mettait notamment en vedette les acteurs québécois Marcel Sabourin, Aubert Pallascio, Danny Gilmore, Rémy Girard et Robert Lalonde.

«Tout ce qui lui arrive semble tellement sans fondement, dit Bouchard, dont une autre pièce, Tom à la ferme, vient d'être portée à l'écran par Xavier Dolan. John s'est impliqué très longtemps dans le mouvement gai et lesbien, de manière très forte. Il a aussi beaucoup dénoncé l'apartheid dont font l'objet les Palestiniens dans les territoires occupés. Je serais très étonné que son emprisonnement soit lié à ces raisons.»

En 2009, Greyson, qui est aussi professeur de cinéma à l'Université York de Toronto, s'était vivement opposé à la tenue, au TIFF, d'un événement-hommage à Tel-Aviv, qui ne comptait aucun cinéaste palestinien. Sa «déclaration de Toronto» avait notamment été signée par le cinéaste Ken Loach, le musicien David Byrne, l'actrice Jane Fonda et l'auteure Alice Walker.

Il y a 18 ans, Michel Marc Bouchard était sur la grande place de Locarno, pour la projection de Lilies, le plus célèbre film de John Greyson, qui allait remporter quelques mois plus tard le prix Génie du meilleur film canadien. Des moments plus heureux, de liberté, que se remémore avec émotion l'auteur.

«John a développé un lien affectif très fort avec le Québec, dit Bouchard, qui a renoué avec son ami l'an dernier au TIFF, à l'occasion d'une rétrospective des oeuvres de Greyson. Il a réalisé l'adaptation d'une pièce que j'ose croire marquante, à Montréal, avec une distribution à moitié québécoise. Le film a été tourné en anglais parce qu'il était le seul à y croire.»

C'est grâce aux pages Facebook des proches de John Greyson, dont celles de sa soeur Cecilia et de son compagnon Steven, que Michel Marc Bouchard s'informe de la situation. «J'ai justement écrit à Steven aujourd'hui, dit-il. Je ne crois pas qu'il ait le temps de répondre à tout le monde. Ils ont créé une vraie cellule de crise.»

Mardi prochain, une manifestation aura lieu devant le consulat égyptien à Montréal, à 13h, afin de réclamer la libération de Tarek Loubani et John Greyson. Les proches de Greyson et de Loubani souhaitent que le premier ministre Stephen Harper intercède personnellement afin de faire pression sur les autorités égyptiennes.

«Le gouvernement Harper a réagi rapidement, dès les premiers jours de détention, dit Michel Marc Bouchard. J'aurais bien des doléances à faire au gouvernement conservateur en d'autres circonstances, mais pas dans ce cas-ci.»

L'auteur des Muses orphelines se pose bien des questions sur les motifs de cette arrestation. «Sont-ils des prisonniers politiques? Les autorités en place cherchent-elles par cet emprisonnement une certaine forme de légitimité ou de reconnaissance?», se demande-t-il, en prenant soin de préciser qu'il s'agit là d'une interprétation personnelle.

Michel Marc Bouchard s'inquiète aussi de voir les médias se désintéresser du sort de son ami, qu'il décrit comme un grand pacifiste. Un ami qu'il espère retrouver rapidement, sain et sauf. Et libre.