Ce qui m'a frappé, en arrivant mardi soir au Centre Bell, c'est la moyenne d'âge: à vue de nez, entre 40 et 45 ans. Constater qu'un public vieillit, c'est se confronter au temps qui passe. J'ai 40 ans. Je ne suis plus jeune. J'ai parfois tendance à l'oublier.

Je suis allé au spectacle de Depeche Mode par curiosité, remplaçant au pied levé une admiratrice de la première heure, trop malade pour y assister. Je ne suis pas fan de la bande de Dave Gahan. Je ne l'ai jamais été. J'ai honte de l'admettre, mais dans ma banlieue conservatrice, peu portée sur les modes alternatives, il était plutôt mal vu pour un adolescent d'aimer Depeche Mode. On considérait que c'était un groupe «pour les filles» (qui avaient bizarrement un faible pour Martin Gore, en porte-jarretelles et bas résille).

En revanche, dans mon entourage, au milieu des années 80, il était considéré comme très viril pour un garçon de se pâmer sur des musiciens à l'allure androgyne, portant du mascara, des cheveux peroxydés et des pantalons en spandex... à condition qu'ils jouent du "métal". N'y cherchez aucune logique.

Avec le temps, j'ai fini par comprendre que mes préjugés, mon aversion passagère pour le synthétiseur et mon ignorance crasse m'avaient empêché d'apprécier à leur juste valeur certains des meilleurs groupes des années 80: The Cure, New Order et autres Depeche Mode.

Les spectacles montréalais dont j'ai le plus entendu parler depuis un mois sur les réseaux sociaux (qui témoignent par distorsion d'une évidence: l'on s'entoure essentiellement de gens qui partagent nos intérêts)? Ceux, bien sûr, des Cure, de New Order et de Depeche Mode. Des groupes dont les plus belles chansons - comme Enjoy the Silence, un pur joyau pop - ont sans doute déjà été composées.

Ce qui n'a pas empêché des milliers de personnes, mardi, de s'imbiber de nostalgie et de se nourrir à la source de jouvence de leurs souvenirs d'adolescence. Ce que je fais, du reste, lorsque je vais voir les Pixies en spectacle ou que j'attends avec impatience la venue en janvier de Neutral Milk Hotel, qui n'a pas fait paraître d'album depuis 15 ans...

En écoutant récemment l'émission The 90s at 9, à CHOM, j'en suis venu à la conclusion ironique que je me complais aujourd'hui dans la même nostalgie que celle des générations qui m'ont précédé, et dont je me suis souvent (gentiment) moqué.

Dans les années 90 justement, je trouvais cruellement déphasés ces gens de 40 ans qui fréquentaient toujours avec assiduité et une étonnante ferveur les spectacles de groupes de rock progressif des années 70 (ou, pis encore, des "groupes-hommages"). Récemment, je me remémorais en radotant ce fameux spectacle de Pearl Jam que j'ai vu à Verdun il y a 20 ans.

J'ai un ami qui, de ville en ville, se déplace pour voir un Ian Astbury bedonnant chanter des vieilles chansons de The Cult. Disons qu'au même âge, Dave Gahan a bien meilleure mine. Sa nostalgie pleinement assumée n'empêche pas mon ami d'être plus au parfum que moi des dernières tendances musicales.

Avec le temps, j'ai aussi fini par comprendre que lorsqu'elle est bien gérée, la nostalgie, même si elle est associée à la tristesse et au regret, n'est pas une maladie honteuse, hautement contagieuse chez les gens arrivés au mitan de la vie. Elle a même des bienfaits psychologiques prouvés.

Les publicitaires, annonceurs et autres spécialistes du marketing en sont conscients et s'en servent allègrement à leur avantage. Ce n'est pas pour rien si les films d'animation destinés à mes enfants sont truffés de références populaires et de chansons des années 80 et 90 s'adressant spécifiquement à ma génération.

L'évocation de l'adolescence, cette période marquante de grands émois et de grandes découvertes très souvent associée à l'insouciance, rend les gens nostalgiques... et prêts à dépenser pour des produits qui évoquent ce sentiment disparu.

Pourquoi la nostalgie est-elle si rentable? Parce qu'elle influence favorablement non seulement l'humeur, mais l'estime de soi, les capacités à créer des liens sociaux et à se sentir partie prenante d'une génération, selon des études psychologiques récentes sur le sujet.

La nostalgie, et en particulier celle provoquée par une musique (selon une étude du département de psychologie de l'Université de la Californie à Davis), n'est ni plus ni moins qu'un baume pour l'âme. Un antidépresseur naturel et une manière efficace de chasser le spleen, la morosité et la monotonie de la routine quotidienne.

Selon les experts, la nostalgie aurait donc pour ainsi dire une utilité, et favoriserait même la créativité. Même lorsqu'elle est le résultat d'une forme de mélancolie ou de solitude. À condition que le nostalgique ne s'emprisonne pas dans son passé (et qu'il ait 115$ à dépenser pour un spectacle de Depeche Mode!).

L'abus de nostalgie, comme de toute chose, peut bien sûr être nocif. Des chercheurs anglais ont émis l'hypothèse que ma génération pourrait d'ailleurs bientôt souffrir d'une surdose nostalgique. À force de tenter de compenser l'incertitude actuelle (les menaces de guerre, de terrorisme, de récession économique, de catastrophe écologique, etc.) par une immersion trop fréquente et intense dans une adolescence idéalisée.

Une époque marquée notamment par la chute du mur de Berlin, la fin de la guerre froide, une embellie économique et la chanson Ça va bien de Kathleen. Nostalgie, après tout, vient du grec «nostos» (retour) et «algos» (douleur)...