Xavier Dolan ne préparait pas ses bagages.

Je m'imaginais le déranger dans ses préparatifs de voyage. À deux jours de son départ pour Venise, je croyais le trouver dans le brouhaha, l'anticipation et l'appréhension de sa première participation à la compétition officielle de l'un des plus grands festivals de cinéma du monde.

La 70e Mostra de Venise s'est ouverte mercredi avec Gravity d'Alfonso Cuaron, mettant en vedette George Clooney et Sandra Bullock. Lorsque je lui ai parlé, le lendemain, Xavier Dolan s'apprêtait à essayer des costumes avec Anne Dorval, rue Sanguinet.

«Veux-tu voir les costumes?»

Les costumes? Pas ceux de la première mondiale de Tom à la ferme, son quatrième film, sélectionné en compétition à Venise. Mais bien ceux de Mommy, son prochain film, qui en est déjà à l'étape de la préproduction.

Le jeune cinéaste ne fera qu'un saut de puce dans la Sérénissime. Tom à la ferme, une adaptation de la pièce de Michel Marc Bouchard, qui a coscénarisé le film, sera présenté au jury présidé par Bernardo Bertolucci lundi.

Dolan ne compte pas profiter longtemps des douceurs du Lido. «Je ne peux pas me permettre de rester à grands frais dans l'opulence vénitienne!», dit-il en riant. D'autant plus qu'il sera attendu, peu après son retour, au Festival international du film de Toronto, où Tom à la ferme sera présenté le mardi 10 septembre.

«Venise a un très grand prestige, une très grande réputation, et profite de la conjoncture automnale. La combinaison Venise-Toronto est très sexy pour les distributeurs et les acheteurs étrangers. En espérant que la réputation du film soit à la hauteur des attentes...»

Il s'arrête brusquement. S'excuse de son inattention.

Il vient de recevoir le dossier de presse de Tom à la ferme, qui a été envoyé le jour même outre-mer. «Je l'ai conçu de mes blanches mains! Je n'avais vu que les épreuves.»

L'anecdote est à l'image de cet artiste touche-à-tout, au souci maniaque du détail, qui la plupart du temps, en plus d'écrire et réaliser ses films, en conçoit les costumes, en supervise la direction artistique et en interprète l'un des rôles principaux.

Dans Tom à la ferme, Dolan incarne un publicitaire qui se rend aux funérailles de son amoureux pour y comprendre que la famille du défunt ne sait rien, ni de son existence, ni de l'homosexualité de son amant.

C'est un film, dit Dolan, qui se démarque de ses précédents longs métrages, non seulement parce qu'il n'est pas le fruit d'un scénario original - «il a fallu colmater les brèches, construire des ponts entre la pièce et le scénario» -, mais parce qu'il s'agit d'un thriller psychologique, au ton et au style plus sobres et réalistes que Laurence Anyways ou Les amours imaginaires.

«Il m'est apparu évident que pour Tom à la ferme, certaines figures de style n'avaient pas leur place, précise-t-il. Les envolées romantiques de mes autres films ne cadraient pas avec le récit. Ce n'est pas que j'avais pour objectif d'absolument rompre avec les oeuvres précédentes. Le scénario imposait plus de retenue. Disons que l'occasion a fait le larron.»

Dolan décrit Tom à la ferme, qui met aussi en scène Pierre-Yves Cardinal, Lise Roy et Évelyne Brochu, comme «un film différent pour un festival différent». Il s'agit du premier film québécois à avoir l'honneur de concourir pour le Lion d'or en 25 ans, depuis À corps perdu de Léa Pool. «C'est un film adéquat, je crois, pour entamer une relation avec un nouveau festival», ajoute Dolan, qui se retrouve en compétition aux côtés de cinéastes aussi réputés qu'Amos Gitai, Terry Gilliam et Stephen Frears.

De la Croisette au Lido

Ses trois premiers films avaient été lancés au Festival de Cannes, où il est né comme cinéaste, à 20 ans à peine. J'ai tué ma mère à la Quinzaine des réalisateurs en 2009, Les amours imaginaires (2010) et Laurence Anyways (2012), en sélection officielle, dans la section Un certain regard.

Plusieurs rumeurs ont circulé à propos de l'absence à Cannes de Tom à la ferme, en mai dernier. Le film a-t-il été recalé par les sélectionneurs? Dolan a-t-il au contraire refusé de le soumettre, toujours déçu par la non-sélection en compétition officielle de Laurence Anyways?

La réponse est plus simple, selon le cinéaste. Tom à la ferme, qui prendra l'affiche au Québec à la fin octobre, n'était pas terminé le printemps dernier et n'a donc pas été soumis au Festival de Cannes. «C'est une question de faisabilité, dit-il. Il aurait fallu, pour que le film soit prêt, que je renonce à jouer dans Miraculum (le prochain film de Podz). Or, je ne cesse de dire partout que je veux jouer, et évidemment pas seulement dans mes films.»

Tourner avec Podz fut d'ailleurs une «superbe expérience», ajoute Dolan, qui a depuis été sollicité pour d'autres rôles. «J'ai trouvé une complicité avec les autres acteurs, un sens de la communauté, que je ressens plus difficilement quand je suis derrière la caméra. Cela vaut toutes les compétitions du monde.»

Alors qu'il est attendu à Venise, le jeune cinéaste est déjà pleinement investi dans son prochain projet. Mommy, inspiré par une loi américaine autorisant des parents en difficulté à confier leurs enfants à l'État, mettra en scène les actrices fétiches de Dolan, Anne Dorval et Suzanne Clément, ainsi qu'Antoine-Olivier Pilon, aperçu dans le controversé vidéoclip College Boy, réalisé par le Québécois pour le groupe Indochine.

«Après m'être promené un peu dans les sujets de mes films, j'avais envie de revenir à la relation mère-fils, même si les comparaisons seront inévitables avec J'ai tué ma mère. J'avais aussi très envie de retravailler avec Anne Dorval, de revisiter notre énergie, et de faire un film émouvant, à la Sweet Sixteen ou à la Fish Tank. Cinq ans plus tard, je ne suis plus le même cinéaste.»

Cela semble évident. Mommy, qui sera tourné à l'hiver, sera destiné à quel festival? que je lui demande pour finir, en boutade. «On verra bien, dit-il, un sourire dans la voix. Tout est une question de timing...»