À l'été 1969, Bernard Lortie, fils d'un pêcheur gaspésien de 18 ans, rencontre à Percé les jeunes militants indépendantistes Francis Simard, Paul et Jacques Rose. Ceux-ci sont venus de Montréal inaugurer La maison du pêcheur, un café et lieu de réflexion créé pour mobiliser et conscientiser la population locale aux enjeux sociopolitiques du moment.

À eux quatre, quelques mois plus tard, Lortie, Simard et les frères Rose formeront la tristement célèbre cellule Chénier du Front de libération du Québec, responsable de l'enlèvement et de l'assassinat du ministre libéral Pierre Laporte, en octobre 1970.

La maison du pêcheur, long métrage de fiction d'Alain Chartrand (Ding et Dong le film, Le jardin d'Anna) présenté lundi en compétition officielle au Festival des films du monde (il prendra l'affiche le 13 septembre), «n'est pas un film sur la Crise d'octobre», prévient le cinéaste, mais bien sur la genèse d'un projet révolutionnaire.

«On a dit d'eux qu'ils étaient des terroristes, explique Chartrand. Mais qui étaient-ils? Pourquoi ont-ils posé ces gestes? Je me suis intéressé à ces trois mois qui ont été déterminants pour la suite des choses, 14 mois plus tard.»

Ce film dédié à la mémoire du «père syndicaliste» du cinéaste, Michel Chartrand - lui-même emprisonné quatre mois dans la foulée des événements d'Octobre -, ne rend malheureusement pas justice à ce pan méconnu de l'histoire québécoise.

Les questions intéressantes que pose le cinéaste restent pour la plupart en suspens, noyées dans un scénario bancal et une réalisation statique. La maison du pêcheur, qui a pour matériau de base un épisode fascinant, navigue constamment entre deux registres, le drame et la comédie (aux accents parfois burlesques), sans jamais choisir son camp. Un film entre deux chaises.

Si les futurs membres de la cellule Chénier sont plutôt crédibles dans leur idéalisme insoumis, leur colère sourde et leur révolte de jeunesse, les personnages qui les entourent, formant la petite élite locale de Percé farouchement opposée à leur présence, tiennent de la caricature loufoque. Certains, présentés comme de véritables crétins de province, auraient eu davantage leur place dans une comédie franche comme Le bonheur de Pierre ou Le sens de l'humour.

Luc Picard hérite du rôle le plus ingrat: celui du conseiller municipal André Duguay, propriétaire d'un camping voisin de La maison du pêcheur, prêt à tout pour se débarrasser de ces "crottés" de socialistes. Il a la profondeur psychologique d'un "méchant" de comédie d'été, alors que le contexte historique et le sujet grave abordé par Chartrand commandaient beaucoup plus de retenue. De façon générale, un registre plus dramatique aurait davantage convenu à l'ensemble de l'oeuvre.

La maison du pêcheur a beau être un film politique, les acteurs, de façon générale, y trouvent étonnamment peu de matière à se mettre sous la dent. Vincent-Guillaume Otis (particulièrement juste) se démarque du lot dans le rôle stoïque et pugnace de Paul Rose. Mais la partition proposée par Chartrand et ses coscénaristes Jacques Bérubé et Mario Bolduc reste, pour la plupart des comédiens, assez pauvre.

Comme si les scénaristes avaient sacrifié l'authenticité du propos et la crédibilité des dialogues pour privilégier tantôt la thèse politique, tantôt une trame romantique à l'eau de rose, tantôt l'effet comique facile. Avec une matière aussi riche, on comprend difficilement pourquoi Alain Chartrand a voulu donner ce ton échevelé à son film.

Sa réalisation, malheureusement, ne sauve pas la mise. Elle donne la plupart du temps l'impression d'une mise en scène théâtrale dans un décor de carte postale (le rocher Percé est filmé sous tous ses angles). Des scènes de sexe inutiles, répétitives et lourdement appuyées par une musique mélo, n'apportent strictement rien au récit.

Le film, à l'esthétique télévisuelle trop conventionnelle, aurait sans doute profité d'un traitement plus rêche, d'une facture plus crue. On est, faut-il le préciser, à des lieues du ton réaliste et tendu d'Octobre ou des Ordres, autant en ce qui concerne la forme que le fond.

Il faut attendre une scène où Bernard Lortie, échappant aux tracas de sa vie sentimentale, se vide le coeur à la radio, dans un rare moment de vérité, pour réellement ressentir la colère de ces indignés. Et imaginer ce que ce film, abordant un sujet en or, aurait pu être.

La réputation

C'est la consoeur Odile Tremblay qui a relevé l'impair, samedi dernier dans Le Devoir. Vendredi matin, pour la projection officielle devant jury du film Cha Cha Cha de l'Italien Marco Risi (l'un des rares cinéastes connus de la compétition), le Festival des films du monde, n'arrivant pas à présenter la copie envoyée par le distributeur, l'a remplacée par un screener. C'est-à-dire par une copie DVD de basse qualité avec code horaire (time code) affiché à l'écran, destinée à des fins de promotion.

L'équivalent peu ou prou de présenter la répétition d'une pièce de théâtre, sans décor ni costumes, à un public payant pour une première au TNM. Comment dit-on «indigne d'un festival de catégorie A» en italien? En de pareilles circonstances, on annule la projection et on rembourse le public. Par respect pour les spectateurs et pour le cinéaste. Pour préserver sa réputation aussi. À moins que l'on n'ait plus grand-chose à préserver...