Il n'y a pas de malentendu possible. Le public montréalais n'est pas venu voir et entendre The Giacomo Variations, spectacle hybride de théâtre, d'opéra et d'humour de boulevard inspiré des écrits de Casanova, hier et mardi à la salle Wilfrid-Pelletier. Il est venu à la rencontre de sa tête d'affiche, l'acteur américain John Malkovich.

Ce doit être le cas, du reste, partout où cette comédie musicale lyrique s'arrête. Récemment, c'était l'Europe et New York, demain (et dimanche), ce sera Toronto. L'auteur et metteur en scène autrichien Michael Sturminger n'en est pas dupe. C'est sans doute la raison pour laquelle, dès les premières minutes de la représentation, il se joue du public et des raisons de sa présence, en faisant croire que son acteur principal est victime d'un malaise.

Dix minutes de ce spectacle de deux heures et demie (plus l'entracte) ne s'étaient pas écoulées, mardi, que John Malkovich s'écroulait sur scène. «John?!» s'est exclamée la chanteuse Sophie Klussmann. Le directeur musical Martin Haselböck a stoppé net l'orchestre. Une régisseuse est apparue sur scène, manifestement inquiète, en demandant s'il y avait un médecin dans la salle.

Des spectateurs ont répondu à l'appel (complices ou pas de la manoeuvre?). Des ambulanciers sont arrivés sur scène avec une civière, sur laquelle ils ont déposé le comédien feignant l'inconscience. Un murmure a parcouru la salle. Je me suis demandé, comme mes voisins, si tout ce manège faisait partie du spectacle.

Pendant quelques secondes, j'ai été bluffé. Puis le chef d'orchestre a donné le signal aux musiciens d'enchaîner avec Eccovi il medico de l'opéra Cosi fan tutte de Mozart, le théâtre burlesque a repris de plus belle autour d'un Casanova ragaillardi - jokes de pénis à l'appui - et j'ai su, à ce moment précis, que j'allais passer une très longue soirée. Un spectacle comme un aria, ai-je pensé, en ne songeant pas un instant à la musique.

Je n'ai rien contre John Malkovich, que j'admire depuis longtemps. Mais j'avoue que j'ai regretté à quelques reprises, pendant cet interminable calvaire scénique, que l'interprète de Valmont n'ait pas réellement été transporté à l'hôpital - sans conséquence, bien sûr -, afin que je puisse vaquer à d'autres occupations moins pénibles: laver la vaisselle du souper, vider la gouttière de ses feuilles décomposées, regarder une reprise de Cap sur l'été.

Par pur devoir professionnel, et au profit de cette chronique, je suis resté jusqu'à la fin du spectacle. Et je crois ne pas exagérer en affirmant que si la salle ne s'est pas vidée de la moitié de son public à l'entracte, c'est qu'il y avait sur scène un certain John Malkovich (et que la plupart des billets coûtaient entre 130 $ et 180 $).

Pour le reste, malgré le décor austère de la salle Wilfrid-Pelletier, j'ai eu l'impression d'avoir été projeté dans le passé, en 1982, au Théâtre des Variétés. Dans un Théâtre des Variétés se donnant des airs de Scala de Milan, pour présenter du burlesque opératique assaisonné de blagues salaces. Chic et de bon goût, comme un gâteau de mariage pastel surdimensionné, duquel aurait jailli une effeuilleuse poussant des notes suraiguës.

Ces Giacomo Variations, ai-je constaté, se sont avérées à l'image de leur scénographie d'un quétaine consommé. Pour tout dispositif, trois gigantesques robes à crinoline, sous lesquelles se dissimulaient différents personnages coquins, et même un lit queen, king, vicomte ou marquis, je ne saurais dire.

Bref, c'est sous les jupes des filles, comme chantait Souchon, que s'est déployée la symbolique lourdaude de ce spectacle navrant, qui réduit Casanova à ses plus bas instincts, lui qui fut bien davantage qu'un libertin vénitien du XVIIIe siècle.

Il n'y a pas que la vie de ce philosophe, voyageur et mathématicien érudit qui est ici dénaturée. La mise en scène de The Giacomo Variations, à force de badineries grivoises, suggère toutes sortes d'interprétations aux extraits des célèbres opéras de Mozart (Don Giovani, Cosi fan tutte, Le mariage de Figaro). Et pas pour le mieux.

Le faux malaise cardiaque du début n'est que le premier couac d'un spectacle fait de constantes ruptures de ton, de plaisanteries de mononcles lubriques et de numéros musicaux décousus. Un spectacle qui tente désespérément de donner un sens à une trame narrative quasi incompréhensible. À la LNI, on aurait mis un terme au match tellement il y a excès de cabotinage.

Dans le rôle de Giacomo Casanova, John Malkovich, languide et flegmatique, de sa voix au timbre unique, ne s'en tire pas trop mal. Mais il ne sait pas vraiment chanter, et son alter ego chanteur (Simon Schnorr), lui, ne sait pas davantage jouer. Quand ça va mal...

En contemplant le naufrage, une seule question subsiste: comment un acteur de la trempe de John Malkovich, polyglotte jouant au théâtre et au cinéma en Amérique du Nord comme en Europe, a pu se retrouver dans pareille galère? Sa carrière, il est vrai, compte son lot de ratages. Il est de la distribution de RED, film de tueurs à gages retraités, dont on verra bientôt la suite au cinéma. Pas du grand art, tant s'en faut.

Malkovich, capable d'autodérision, est assez franc et lucide pour avouer qu'il accepte parfois certains contrats pour le cachet attrayant qui s'y rattache. Je ne sais pas si c'est le cas cette fois. Je le lui souhaite...