Nicole Kidman portait des talons hauts et une coiffure montée à la Marge Simpson. Elle n'est pourtant pas petite. Hier soir, sur le tapis rouge du Festival de Cannes, les dépassant d'une tête, elle faisait passer les jurés masculins de la compétition officielle, Ang Lee, Cristian Mungiu, Steven Spielberg, Christoph Waltz et Daniel Auteuil, pour des nains. (J'ai failli écrire gnome pour Auteuil.)

«Elle a l'air bizarre, comme sortie d'un film de Tim Burton», a dit spontanément ma voisine, une dame dans la cinquantaine. Je ne l'ai pas trouvée bizarre. Rousse, oui. Un peu figée dans l'enchaînement nez-menton, certes, mais impériale. Et grande. Assez pour être pris d'un soudain élan de compassion pour Tom Cruise.

«Je me sens comme Mary Poppins avant de s'envoler!», s'est exclamée l'actrice australienne, s'agrippant à deux mains à son parapluie bon marché, qui menaçait de partir au vent. Il pleuvait à boire debout sur la Croisette hier pour la montée des marches de la cérémonie d'ouverture du 66e Festival de Cannes. Avant même qu'on ait servi le champagne.

Sous le thème du film d'ouverture, The Great Gatsby, le tapis rouge détrempé s'est transformé en «crazy carpette». Des danseurs, déguisés en personnages des années folles et arrivés en voitures d'époque, ont exécuté quelques steppettes chorégraphiées en gravissant l'escalier. Un nouveau sport de glisse. Personne, heureusement, n'a été blessé.

Je ne saurais en dire autant avec certitude des centaines de badauds massés depuis des heures devant le Palais des Festivals, malgré la pluie. À l'arrivée de la limousine de Leonardo DiCaprio, une clameur s'est échappée de la mer de parapluies. Puis un long cri strident s'est fait entendre, comme le crissement assourdissant de pneus. Ce n'était pas un accident. Juste le beau Leo (pas celui du printemps dernier). Et une folie furieuse.

Je me suis demandé si, parmi ces jeunes femmes criant au meurtre ou presque, quelques-unes n'étaient pas tombées au combat. Et je me suis dit que 15 ans plus tard quand même, Titanic, ce film que j'avais tant détesté à sa sortie, faisait encore et toujours de Leonardo DiCaprio un acteur plus grand que nature.

L'interprète de Jay Gatsby a été bon joueur, comme le personnage suave et élégant du roman de F. Scott Fitzgerald - écrit en partie à 20 km de Cannes -, en signant quelques dizaines d'autographes au son des premières notes, ironiques, de (I Can't Get No) Satisfaction des Stones.

La distribution au grand complet de The Great Gatsby était aussi sur place plus tôt, en après-midi, à l'occasion de la conférence de presse du film d'ouverture, sans doute la plus courue qu'il m'ait été donné de voir depuis que je fréquente le Festival (depuis le début du millénaire).

Faire honneur à un classique

Votre film offre-t-il selon vous une nouvelle lecture valable et une nouvelle résonance à l'oeuvre de Fitzgerald? a demandé d'emblée le modérateur Henri Béart. «Ce récit, c'est nous, où nous en sommes en ce moment, à une époque à laquelle il faut réfléchir», a répondu le cinéaste Baz Luhrmann, admirateur avoué depuis l'adolescence du film de Jack Clayton mettant en vedette Robert Redford dans le rôle de Gatsby.

La chute brutale décrite à la fin du livre était, selon lui, annonciatrice d'une autre chute. Fitzgerald, prescient, avait vu venir le crash dès 1925. «Le plus fascinant, c'est ce qui ne se trouve pas dans le roman, croit Leonardo DiCaprio. Ce qui a été laissé à l'interprétation du lecteur. Ce n'est pas tellement une histoire d'amour que la tragédie d'un homme, dans l'opulence des années 20, essayant de devenir un Rockefeller, un grand Américain, tout en s'accrochant au mirage que représente Daisy Buchanan. Il s'est perdu en cours de route.»

La critique américaine n'a pas été tendre avec le film de Baz Luhrmann, qui prenait seulement l'affiche hier en Europe dans la foulée de sa présentation à Cannes. Si j'avais à résumer en un seul titre l'accueil critique fait au film, ce serait «The Not So Great Gatsby»... On n'adapte pas l'un des plus grands romans de la littérature américaine sans heurts. Le cinéaste australien se console avec les satisfaisantes recettes aux guichets cumulées par son film à son premier week-end à l'affiche en Amérique du Nord (51 millions de dollars).

«J'ai fait Moulin rouge! clame le cinéaste d'Australia, un sourire dans la voix. J'ai aussi réalisé Romeo + Juliet, Strictly Ballroom. Je n'ai jamais été très choyé par la critique. Fitzgerald s'est fait traiter de clown par le plus grand critique de son époque à la sortie de Gatsby. À sa mort, il avait tellement été oublié qu'il achetait ses propres livres afin qu'ils ne disparaissent pas. La semaine dernière, il s'est vendu plus d'exemplaires de ses livres que pendant sa vie entière. Oui, je suis heureux que les gens aillent voir le film.»

Leonardo DiCaprio, qui retrouve Baz Luhrmann 17 ans après Romeo + Juliet, apprécie ce goût du risque du cinéaste. «Il n'a pas peur de s'attaquer aux grands classiques de la littérature tout en conservant leur essence et leur vérité. Que ce soit Shakespeare ou Fitzgerald.»

L'acteur de 38 ans avait particulièrement à coeur le respect du chef-d'oeuvre de Fitzgerald, selon Baz Luhrmann. «Leo me rendait fou, dit-il. Est-ce qu'on rend justice au livre? me demandait-il constamment. C'était sa principale préoccupation. Tous les acteurs se sont battus pour que le texte de Fitzgerald soit le plus présent possible dans le film.»

À la première mondiale du film à New York, la semaine dernière, le cinéaste a rencontré une vieille dame, très digne et élégante, dit-il, qui l'a félicité pour son film. «Elle est sortie de l'ombre, m'a pris par la main et m'a dit: «Je suis venue du Vermont pour voir ce que vous avez fait avec le livre de mon grand-père». Elle m'a dit que Scott serait fier de ce film et elle a ajouté qu'elle avait adoré la musique! Si ce n'est que pour ça, ça valait la peine de le faire.»

Vu

Quantité de mannequins faisant une moue improbable pour les photographes. C'est ce qui les distingue des actrices sur le tapis rouge.

Entendu

«Un de mes meilleurs amis s'adonne à être un très grand acteur. Je n'y vois pas d'inconvénient!» Tobey Maguire à propos de son ami de longue date Leonardo DiCaprio.