Sur la Croisette, hier matin, les piétons zigzaguaient entre des pyramides de caisses de champagne, fraîchement livrées et destinées aux bars des plages privées. Chez nous, on évite les cônes orange sur la chaussée. À Cannes, les magnums de Veuve-Clicquot. À chacun ses obstacles coniques et orangés.

Non, personne ne devrait mourir de soif pendant le 66e Festival de Cannes, qui s'ouvre aujourd'hui avec The Great Gatsby de Baz Luhrmann, un film qui a par moments, justement, des airs de pub de Moët et Chandon. La flamboyance du film devrait d'ailleurs se marier à merveille au décor cannois, à ses palais Art déco et à son goût très prononcé du luxe.

On dit que certaines des fêtes qui auront lieu d'ici à la clôture du Festival sous les chapiteaux des plages, dans les grands hôtels, les yachts et les villas de luxe coûteront jusqu'à un million d'euros. Je n'ai pas de difficulté à le croire. Avec le taux de change, mettons que ça fait cher la bouchée de Paris Pâté.

La plus sélecte des soirées cannoises aura d'ailleurs lieu aujourd'hui même, sous un dôme géant érigé pour l'occasion sur la Croisette, en empruntant à la thématique du film d'ouverture. Le party de Gatsby le magnifique s'offrira en écho aux fêtes somptueuses décrites dans son célèbre roman par F. Scott Fitzgerald, jadis un habitué de la Côte d'Azur.

Parmi les invités attendus ce soir, on compte l'acteur principal du film d'ouverture, Leonardo DiCaprio, qui - on n'est jamais trop bien informé - loge à l'ultra-chic hôtel du Cap-Eden-Roc, à Antibes, où F. Scott Fitzgerald aimait se baigner dans les années 20 avec sa tendre Zelda et ses amis Hemingway, Dos Passos, Picasso et Fernand Léger. Une belle gang.

On annonce en prime à cette fête le grand manitou de la bande originale de Gatsby, le rappeur Jay-Z, sa tendre Beyoncé ainsi que leurs 24 gardes du corps, dûment inscrits sur la guest list (comme on dit en France). Non, ce n'est pas une blague.

Je compte obtenir une place en sollicitant personnellement Leo DiCaprio, tout en faisant valoir que je connais le cousin du deuxième joueur de pipeau sur la toune de Titanic de Céline Dion (un mensonge éhonté). En espérant que My Heart Will Go On ne lui donne pas la nausée comme à Kate Winslet. J'ai bon espoir que ça fonctionne.

La Ville de Cannes, souhaitant que ses citoyens ne se sentent pas exclus (comme moi) de la fête, a convié 800 Cannois à une soirée dansante, demain, sous ce grand chapiteau décoré à la manière des années folles. «C'est pour les grosses légumes de Cannes, pas pour le citoyen lambda comme moi, me disait hier une Cannoise. Dans les années 90, il y avait encore la possibilité d'obtenir une place aux fêtes, mais plus maintenant. Tout est privé.»

Ils étaient quelques dizaines de «citoyens lambda» hier, faisant le pied de grue devant le Palais des festivals, munis de leurs escabeaux, en prévision de la première montée du tapis rouge. Ils y sont chaque année, provenant de tous les recoins de la France, espérant obtenir un cliché ou un autographe d'une vedette. Prêts à attendre des jours le passage éclair de Nicole Kidman, membre du jury présidé par Steven Spielberg, d'Audrey Tautou, la maîtresse de cérémonie du Festival, ou encore de Julianne Moore, la nouvelle égérie de L'Oréal, tous annoncés ce soir.

Des chasseurs d'étoiles fascinés par les célébrités. C'est plutôt leur rapport à la célébrité qui me fascine. On souhaite qu'ils ne soient pas trop nombreux à guetter l'arrivée de Steven Spielberg à l'Hôtel Majestic, où une suite a été réservée à son nom (celle louée par Dior coûte la bagatelle de 32 000 euros la nuit). Le cinéaste de Jaws aurait, selon Nice Matin, passé les dernières nuits sur un yacht dans la baie de Cannes.

Les badauds, cela dit, ne perdent rien pour attendre. Au cours des prochains jours, défileront devant eux les Justin Timberlake, de la distribution du nouveau film (musical) des frères Coen, Michael Douglas et Matt Damon, à l'affiche du plus récent Steven Soderbergh, Ryan Gosling, faisant de nouveau tandem avec le cinéaste de Drive Nicolas Winding Refn, et autres Marion Cotillard, du dernier film de son mari Guillaume Canet (et de celui de James Gray, scénarisé par son amoureux).

Pour l'instant, les lambda ont surtout une vue imprenable sur l'escalier dénudé du Palais, une structure en contreplaqué en attente de son célèbre tapis rouge - qui ne sera posé qu'au tout dernier moment aujourd'hui, pour éviter les taches tenaces et gênantes.

Ils peuvent se consoler en admirant la magnifique affiche du 66e Festival (de 22 mètres sur 26 mètres et en PVC, si vous voulez tout savoir), posée lundi sur la devanture du Palais par rien de moins qu'une équipe d'alpinistes. Le Festival de Cannes a, il faut dire, le don pour les belles affiches, contrairement à d'autres événements cinématographiques (on n'en nommera aucun, surtout pas celui qui commence par F et finit par M).

Celle de cette année met en vedette les amoureux iconiques que sont Joanne Woodward et Paul Newman, dans un baiser à la renverse d'une grande élégance. Les deux comédiens, qui ont formé un couple à la ville pendant 50 ans, sont couchés sur le côté dans cette photographie en noir et blanc, sur fond acier, tirée du tournage du film A New Kind of Love. Une image d'amour éternel, pour un festival qui nourrit depuis longtemps celui du cinéma.