La dernière phrase de The Great Gatsby, de Francis Scott Fitzgerald, est l'une des plus belles de la littérature américaine. «So we beat on, boats against the current, borne back ceaselessly into the past» («C'est ainsi que nous nous débattons, comme des barques contre le courant, sans cesse repoussés vers le passé»).

Sa musicalité, son évocation poétique, tout ce qu'elle laisse entendre sur le récit qui s'achève, sur la suite des événements, sur la condition humaine, hantent depuis des décennies les exégètes de F. Scott Fitzgerald.

Je suis, comme bien d'autres, un admirateur de ce livre qui se lit d'une traite, sans effort, tellement il est magnifiquement écrit. Un chef-d'oeuvre littéraire, condensé d'une époque, témoignant des années folles, de la concrétisation du rêve américain, du chemin tortueux qui y mène parfois, ainsi que de la désillusion et de la chute brutale qui souvent l'accompagnent.

Des générations de lecteurs sont tombées sous le charme de Gatsby. Sous le charme de cette écriture fluide et élégante, de ce récit indémodable, de ce personnage énigmatique, richissime romantique qui a le Tout-New York à ses pieds alors qu'il rêve de celle qui lui a échappé, autrefois, du haut de la tour de son château de Long Island.

Les cinéphiles tomberont-ils aussi sous le charme de cette nouvelle adaptation cinématographique, particulièrement flamboyante, du roman phare, signée Baz Luhrmann? M'est avis que moins on en sait sur le roman, plus on a de chances d'apprécier ce film, à l'affiche depuis hier.

Car si la littérature n'a pas été évacuée de son film, Luhrmann prend certaines libertés, non pas avec le récit, mais avec le ton du roman. The Great Gatsby le film, divertissant à souhait, n'a pas la sobriété de l'oeuvre de Fitzgerald. Il est plus extravagant et s'appuie sur les clichés de l'époque (le jazz, l'insouciance, les excès éthyliques des bacchanales) avec une insistance qui finit par lasser. Le film, surtout, ne traduit pas avec autant d'acuité l'aspect tragique du roman.

J'apprécie généralement la façon qu'a Baz Luhrmann de tout magnifier dans son cinéma. D'en faire trop et plus encore. L'effervescence de Strictly Ballroom, la relecture moderne de Romeo + Juliet, le délire musical de Moulin rouge. (Pour tout avouer, j'ai même trouvé des qualités à Australia et je crois bien être le seul!)

The Great Gatsby est en symbiose avec le reste de la filmographie du cinéaste australien. Excessif, coloré, tonitruant, anachronique, hautement inventif sur le plan visuel. Une orgie d'images à l'appui de musiques revisitées par des chanteurs de l'heure.

En découvrant cette succession de vignettes semblables à des vidéoclips - pour des chansons (et reprises) de Lana Del Rey, Florence " the Machine, The xx et autres Jack White -, je me suis dit qu'à dessein, ce film allait servir de carte de visite de luxe pour une comédie musicale à être présentée ad vitam aeternam sur Broadway.

Par moment, tellement il est inondé de cascades de champagne, on peut avoir l'impression que l'un des plus grands romans de la littérature anglo-saxonne a surtout servi de prétexte à une immense pub de Moët et Chandon (manifestement un commanditaire).

The Great Gatsby, heureusement, n'est pas que cela. Même s'il s'égare trop souvent à mon sens de sa trame narrative principale (et même secondaire: la maîtresse de Tom Buchanan se contente de faire de la figuration) pour s'attarder au superflu, au «bling bling» et aux chansons de Jay-Z, il regorge de qualités cinématographiques.

Sa direction artistique est époustouflante, sa bande sonore, particulièrement séduisante. Leonardo DiCaprio incarne un Gatsby fort convaincant, à l'image que je me faisais de ce héros déchu.

On pourra accuser au final Baz Luhrmann d'avoir laissé la forme prendre le pas sur le fond («style over substance», comme disent les Américains), mais pas d'avoir dénaturé le roman de Fitzgerald.

Je me suis demandé, tout au long du film, si le cinéaste conserverait intacte la phrase finale du roman à l'écran. Elle y est. Ses mots s'affichent même à l'écran, dans un mouvement fluide, en trois dimensions. Un point d'orgue magnifique, juste avant le générique, qui m'a réconcilié avec la vision du cinéaste. «So we beat on...»

Hâte d'être à Cannes

Je ne pourrai pas tout voir. Mais je vais essayer! Le Festival de Cannes s'ouvre mercredi, avec The Great Gatsby justement. J'y serai une fois de plus, aux côtés de l'ami Lussier, pour vous livrer la couverture la plus intéressante possible.

Cannes, c'est notre Noël du cinéphile annuel. L'occasion de découvrir le meilleur de ce que le septième art a à nous offrir. Parmi les titres que j'attends avec le plus d'impatience, il y a Le passé d'Asghar Farhadi, premier film français du réalisateur iranien d'Une séparation (avec Bérénice Béjo et Tahar Rahim), et La vie d'Adèle, d'Abdellatif Kechiche (La graine et le mulet), une adaptation de la bédé Le bleu est une couleur chaude.

Il y a aussi Behind the Candelabra, de Steven Soderbergh, sur les amours de Liberace (avec Matt Damon et Michael Douglas), Inside Llewin Davis, des frères Coen, à propos d'un chanteur folk des années 60, et Nebraska, d'Alexander Payne (le cinéaste de Sideways et The Descendants).

Je surveillerai de près, en ouverture d'Un certain regard, The Bling Ring, de Sofia Coppola, sur une vraie bande d'adolescents qui a cambriolé des maisons de vedettes à Los Angeles, ainsi que les films québécois Sarah préfère la course, de Chloé Robichaud, en sélection officielle, et Le démantèlement, de Sébastien Pilote, à la Semaine de la critique. Bien hâte de vous en parler.

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