Il n'en est pas à sa première controverse. David Bowie a fait carrière en alliant à sa musique des images provocantes. Le vidéoclip sulfureux de la chanson The Next Day, troisième extrait de l'album du même nom, mis en ligne hier, n'y fait pas exception.

Ce clip sombre et sulfureux, réalisé par la cinéaste et photographe italienne Floria Sigismondi (d'après un concept et un scénario de Bowie), marie allègrement sexe, sang, rock and roll et religion. Si bien qu'il a été interdit de diffusion par YouTube quelques heures après sa première diffusion pour «non-respect des conditions d'utilisation» de la plateforme web.

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YouTube n'a pas voulu en dire davantage que cette formule sibylline au moment du retrait du clip, mais un de ses porte-parole a été plus disert, en après-midi, lorsque The Next Day a de nouveau été rendu accessible, pour un auditoire adulte seulement. Le «mal» était déjà fait...

«En raison du nombre important de vidéos sur notre site, parfois nous prenons de mauvaises décisions. Mais quand on nous informe qu'un vidéoclip a été retiré par erreur, nous réagissons rapidement», a déclaré une porte-parole de YouTube au magazine Billboard.

L'erreur, oui, est humaine. Le clip de The Next Day y fait abondamment référence. David Bowie y incarne le Christ (à 66 ans, il a deux fois son âge) et l'actrice française Marion Cotillard, une prostituée au visage angélique. L'acteur britannique Gary Oldman, vieil ami de Bowie (avec qui il a joué dans le film Basquiat), interprète quant à lui un prêtre pas très catholique.

L'iconographie religieuse y est abondante. Dans un bordel qui pourrait passer pour une chapelle, un homme se flagelle jusqu'au sang, des nonnes paradent en petite tenue, des prêtres fricotent avec des stripteaseuses.

On présente l'Église comme une mafia dépravée, dont le parrain est un cardinal qui siffle des verres de whiskey pendant que sa cour vient lui baiser la main, en échange de quelques dollars. Holà décadence, comme chantait l'autre.

Bowie, accoutré en Messie, chante sur scène, entouré de ses musiciens. Les paumes de Marion «Marie Madeleine» Cotillard ruissellent de sang, ses stigmates aspergeant le voile d'une mariée aux seins nus, pendant que le prêtre incarné par Oldman accuse «Jésus» Bowie de tous les maux. «Tu vois ça? C'est de ta faute. Et tu oses te proclamer prophète!» Du léger.

Dans le tableau final, Marion Cotillard, image de crucifiée, les paumes trouées, un bandeau dans les cheveux noué comme une couronne d'épines, verse des larmes blanchâtres. «Merci Gary, merci Marion, merci tout le monde», dit Bowie le Messie avant de disparaître, s'évaporant du cadre, le sourire aux lèvres.

L'imagerie religieuse détournée de son sens, les références à la crucifixion, le sang qui gicle, les remerciements équivoques à la fin, m'ont inévitablement fait penser au vidéoclip de College Boy, réalisé par Xavier Dolan pour Indochine, qui a lui aussi suscité la controverse.

Plusieurs chaînes musicales, dont MusiquePlus au Québec, ont préféré ne pas diffuser le clip réalisé par Dolan. Il serait étonnant qu'elles diffusent celui de Bowie, tellement leur temps d'antenne est désormais saturé d'émissions de téléréalité comme celle de Snooki et de Jwoww - trop bronzées, même dans la tête - ou de concours de mannequins amateurs. MusiquePlus n'a plus de «musique» que le nom depuis longtemps.

Je me suis surtout étonné hier, en constatant la réaction initiale de YouTube au vidéoclip de The Next Day, de réaliser à quel point la religion semble toujours être aussi taboue. Ce ne sont clairement pas les allusions sexuelles du clip de Bowie qui expliquent son retrait momentané de la populaire plateforme de diffusion de vidéos. YouTube en a vu d'autres, plus vertes et bien moins mûres.

Est-ce seulement la violence des images de College Boy qui a provoqué l'ire de la présidente du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) français la semaine dernière? Ou tout autant l'affront fait par Xavier Dolan à la religion, dans la société laïque que se targue d'être la France?

Et si la religion était, malgré ce qu'aimeraient croire tous les athées déclarés (ils sont de plus en plus nombreux chez nous), toujours aussi «sacrée» dans nos contrées? Et si nous étions aussi sensibles que d'autres à la transgression des tabous religieux? Quand deux vidéoclips évoquant, par pure coïncidence, la crucifixion sont interdits de diffusion à une semaine d'intervalle, il y a lieu de se poser des questions.

Est-ce que notre rapport à la religion a réellement évolué depuis l'époque où Like a Prayer de Madonna et la parodie de pub de Xerox «une christ de bonne machine» de RBO suscitaient la controverse pour les mêmes raisons que les clips de College Boy et The Next Day? Cela fait presque 25 ans et pourtant, je suis loin d'en être convaincu.