Il fut un temps où je ne comprenais pas que l'on puisse courir sans ballon. S'époumoner sans autre objectif que de s'époumoner. Souffrir de son plein gré, à répétition, sans goûter aux plaisirs ludiques du sport.

Mais il vient aussi un temps où les amis se font plus rares au parc, où l'intensité des ligues de soccer ne nous convient plus et où l'âge, ce maudit fatigant, se fait de plus en plus enrobant sur l'abdomen.

C'est grâce au collègue Yves Boisvert que je cours. Après le temps, à ma perte peut-être, vers de nouvelles blessures au pied, au mollet, à l'ischiojambier, à la hanche, alouette!

Yves s'est mis à la course il y a 5 ans, pour accompagner à l'entraînement d'une épreuve de 10 km son frère, victime à 56 ans d'une grave crise cardiaque. Pour conjurer aussi le sort, qui lui a fait perdre son père, à 74 ans, d'un infarctus.

Yves court. Et pas seulement par instinct de survie. Il court parce qu'il y a pris goût, parce que c'est devenu pour lui un «mal» nécessaire. Et il court bien, même s'il se décrit, sans fausse modestie, comme un «athlète médiocre». J'aimerais être assez «médiocre» pour pouvoir me qualifier comme lui au mythique marathon de Boston.

Yves «courra Boston» l'an prochain, pour y affronter Heartbreak Hill et les douloureux souvenirs de 2013. Il s'agira de son sixième marathon. Ses 5 premiers parcours de 42,2 km, ainsi que quantité de courses dans la foulée de son 10 km initiatique, ont servi d'inspiration à la publication, la semaine dernière, de son premier livre: Pas, chroniques et récits d'un coureur.

On m'accusera d'avoir un parti pris, parce qu'Yves est un collègue et que je fais partie de la «secte» des coureurs de La Presse (ce qui semble en faire suer plus d'un et nous vaut les sarcasmes de ceux qui n'en peuvent plus de nous entendre parler de nos bobos et de nos chronos).

Qu'importe. Je le dis sans gêne: ce recueil est une brise de printemps. Le livre le plus inspirant que j'ai lu sur la course depuis Autoportrait de l'auteur en coureur de fond de Murakami.

Ses lecteurs n'en seront pas surpris. Yves n'est peut-être pas un coureur exceptionnel, mais c'est un chroniqueur d'exception. Ce n'est pas de la flagornerie. J'aspire depuis toujours à écrire des chroniques aussi fluides que les siennes, même si nous ne sommes pas toujours d'accord sur le fond (je ne parle pas de course).

Ce recueil de textes, pour la plupart inédits, est à l'image de son auteur: fin, brillant, plein d'esprit, d'humour et d'autodérision. Un récit qui commence par des excuses plutôt que par des remerciements. Yves, de son propre aveu, n'a jamais été un grand athlète. Au collège, sa place était davantage aux clubs d'échecs, «encore que là non plus je ne menaçais pas de récrire le livre des records», écrit-il.

Son livre n'est pourtant pas celui d'un imposteur. Yves est un coureur sérieux, qui ne quitte jamais la maison sans sa montre Garmin, s'entraîne depuis des années avec un spécialiste et améliore constamment ses records personnels. Dimanche encore, il a abaissé sa marque au demi-marathon.

Les coureurs du dimanche (j'en suis) se reconnaîtront forcément dans son récit autobiographique, qui a la très grande qualité de ne jamais se prendre au sérieux. «La course à pied est arrivée dans ma vie comme un accident, écrit-il. D'abord pour conjurer le sort et fêter l'improbable retour à la vie de mon frère. C'est rapidement devenu une dépendance. Une manière infiniment simple de se promener dans la géographie, dans le temps et dans mon cerveau.»

Au début, écrit-il, la course s'apparentait pour lui à ces classiques de la littérature qu'on est content d'avoir lus, mais qui n'ont pas rempli leurs promesses de plaisirs insoupçonnés. Le plaisir, heureusement, croît avec l'usage. Celui, en plus de la décharge d'endorphines, de courir dans des villes que l'on visite.

C'est le quotidien du coureur amateur que décrit Yves Boisvert avec tant d'acuité. Ces obsessions que l'on développe à divers degrés (le rapport au temps), les blessures d'orgueil reliées à la contre-performance et la crainte comme Yves de terminer derrière ce «gars qui jonglait avec trois balles».

Pas est aussi fait d'histoires inspirantes de coureurs hors du commun, d'Olympiens rencontrés par l'auteur à Londres comme les Miclette, ces Québécois qui ont célébré leur 50e anniversaire de mariage en terminant main dans la main le marathon de Boston.

L'ancien voisin de Yves, le comédien Marc Labrèche, à qui il a redonné le goût de la course, signe une préface truculente, décrivant ce «Guépard intelligent» comme un «intransigeant spartiate de la petite foulée» et un «trottineur de légende de la plus haute qualité». Il est tout ça et bien plus encore. Une source d'inspiration.

Pas, chroniques et récits d'un coureur, d'Yves Boisvert, Les Éditions La Presse.