Michel Gondry n'est jamais là où on l'attend. C'est à la fois une de ses forces et une de ses faiblesses. Le plus américanophile des cinéastes français s'est fait connaître dans les années 90 grâce à ses vidéoclips de chansons de Björk (sa muse des débuts), de Radiohead, des Rolling Stones, des Chemical Brothers et des White Stripes.

Formé au dessin, ce qui a visiblement marqué son univers visuel déjanté, Gondry, qui aura 50 ans dans 10 jours, a réalisé son premier long métrage en 2001. Human Nature, satire avec Patricia Arquette et Tim Robbins, n'a pas marqué les esprits outre mesure.

Sa collaboration avec le scénariste Charlie Kaufman sur Eternal Sunshine of The Spotless Mind va le révéler au grand public trois ans plus tard (et lui valoir, avec Kaufman, l'Oscar du meilleur scénario original). L'histoire d'amour à la fois fantaisiste et tragique de Joel (Jim Carrey) et Clémentine (Kate Winslet) reste à ce jour son film le plus réussi.

La science des rêves, mettant en vedette Gael Garcia Bernal et Charlotte Gainsbourg, qu'il scénarise et réalise en 2005, poursuit dans la même veine romantico-fantaisiste que son film précédent, avec une imagerie forte, mais un scénario qui ne l'est pas assez.

Alternant entre sa France natale (il est originaire de Versailles) et les États-Unis, où il a élu domicile à New York, Gondry s'investit dans des projets de plus en plus éclectiques. Il tourne coup sur coup un documentaire sur sa tante, enseignante dans une petite école de la campagne française (L'épine dans le coeur), ainsi qu'une grosse comédie hollywoodienne avec Jack Black, Be Kind Rewind, en 2009.

Après le très mauvais accueil fait au blockbuster The Green Hornet (2010), sur le superhéros de bande dessinée du même nom, Michel Gondry change une nouvelle fois de registre. The We and The I, à l'affiche au Québec depuis hier, est une proposition minimaliste, à petit budget, tournée avec une petite caméra numérique.

Un film de fiction improvisé par des acteurs non professionnels campant leur propre rôle, le temps d'un trajet d'autobus qui sillonne le sud du Bronx pendant 1h45. Assez pour que la dynamique du groupe, constitué essentiellement d'adolescents noirs, bruyants et insolents, change du tout au tout. Marqué par la fanfaronnade et les tentatives d'intimidation, le récit verse progressivement dans l'intime, abordant des thématiques chères aux adolescents: amitiés, amours, sexualité.

Ce film tourné à huis clos emprunte abondamment aux codes de la téléréalité et s'inspire d'une idée qui est venue à Michel Gondry il y a 20 ans, en prenant un autobus avec des adolescents parisiens particulièrement turbulents. De ce chaos, de cette dynamique juvénile, le cinéaste a tiré un film brouillon au charme brut, qui s'inscrit comme un ovni même dans sa filmographie éclatée.

Le metteur en scène a recruté ses acteurs parmi les élèves d'un programme parascolaire consacré aux arts, dans le Bronx. Il a mis sur pied un atelier de théâtre et des rôles dans le film ont été proposés aux 40 premiers inscrits. C'est en s'inspirant de leur quotidien qu'il a écrit un canevas de scénario, même si l'essentiel du film a été improvisé.

La somme des qualités de The We and The I, sa fraîcheur, son originalité, son ton - qui n'est pas sans rappeler Do the Right Thing de Spike Lee pour son utilisation de la musique (Bust A Move de Young MC joue en boucle) -, ne parvient pas à faire oublier ses nombreux défauts. Le scénario bric-à-brac et le jeu approximatif de certains jeunes acteurs imposent d'emblée ses limites à l'exercice de style.

Il reste que l'on se réjouit de retrouver Michel Gondry de nouveau libéré du carcan hollywoodien, dans la liberté de création la plus complète. Et l'on est curieux de découvrir son projet d'adaptation du célèbre roman surréaliste de Boris Vian, L'écume des jours, avec Audrey Tautou et Romain Duris. Le film, qui a pris l'affiche mercredi en France, a reçu un accueil tiède de la presse française, qui lui reproche un trop-plein d'effets visuels. Mais ces effets, aperçus dans la bande-annonce, semblent époustouflants.

Michel Gondry, lui, a déjà la tête ailleurs, à peaufiner le film d'animation qu'il a tiré d'une conversation avec l'intellectuel américain Noam Chomsky, intitulé Is the Man Who Is Tall Happy? Ailleurs, comme toujours, là où on ne l'attend pas.

Malick se pastiche

La rumeur avait beau être mauvaise, j'attendais avec enthousiasme le dernier film de Terrence Malick, To the Wonder. J'avais été ébloui par The Tree of Life, malgré ses excès mystiques, son côté nouvel-âgeux, ses bondieuseries et ses dinosaures.

To the Wonder est fait du même bois de crucifix, et des mêmes mouvements magnifiquement fluides et constants de caméra, mais son scénario tourne à vide, sans cohérence, abandonnant une piste pour en épouser une autre, sans logique apparente.

Un couple (Olga Kurylenko et Ben Affleck) s'aime à Paris puis s'entredéchire dans le sud des États-Unis. Se quitte et se réconcilie sans cesse. Sans jamais que l'on sache ni trop comment ni pourquoi. Et sans, surtout, que l'on ait la moindre envie de s'en soucier.

Comme si le cinéaste de Days of Heaven avait jeté les pages du scénario dans les airs, en égarant quelques-unes, et avait ainsi décidé de la structure de son film. En nous laissant deviner ce qui a bien pu se passer pendant ces quelques semaines (ces quelques mois?) où les amoureux ont été séparés.

Ben Affleck est figé dans un rôle quasi muet de Marlboro Man. Olga Kurylenko parade comme dans une pub de parfum devant la caméra complaisante de Malick qui, s'il avait voulu se pasticher, n'aurait pas fait autrement. Dommage.