Pierre Lapointe est vexé. On le comprend. Il ne digère pas qu'une de ses chansons ait été diffusée dimanche, lors du congrès à la direction du Parti libéral du Québec (PLQ). La pièce Je reviendrai a été utilisée comme «hymne patriotique afin de galvaniser le moral des troupes libérales», écrivait-il hier dans une lettre ouverte à La Presse.

Dans cette lettre vitriolique, le chanteur reproche au PLQ de s'être approprié son oeuvre «pour vendre une idéologie» et de s'en servir «comme d'un souffle politiquement chargé» sans sa permission. C'est «une grave erreur morale et un manque de respect flagrant», écrit l'artiste, en dénonçant ce «manque honteux d'éthique».

Je comprends la colère de Pierre Lapointe. Elle est légitime. Je comprends qu'il ait encore le «printemps érable» en travers de la gorge. Il n'est pas le seul. Lapointe était dans la rue avec les manifestants le printemps dernier. Il portait le carré rouge au spectacle d'ouverture des FrancoFolies de Montréal, quelques jours avant que Christine St-Pierre, alors ministre de la Culture, ne fasse sa malencontreuse déclaration sur ce symbole de «violence et d'intimidation».

Il n'est pas près d'oublier la gestion lamentable de la crise étudiante par le gouvernement Charest ni le mépris avec lequel a été adoptée la loi 78. Heureusement que certains ont de la mémoire. Je trouve de bonne guerre que Lapointe fasse publiquement part de sa colère de ne pas avoir été consulté par le PLQ. Qu'il pose ces questions pertinentes d'éthique et de morale. Qu'il se lève et prenne la parole, comme trop peu d'artistes osent le faire.

Il reste que du moment qu'elle a été créée, une oeuvre n'appartient plus tout à fait à son auteur. Il en a bien sûr la paternité, a droit à des redevances, à être adéquatement rétribué, mais son oeuvre appartient aussi, d'une certaine manière, au public qui se l'approprie et l'interprète comme bon lui semble.

Pierre Lapointe le reconnaît. «Une chanson, c'est un objet vivant qui se doit de voler de ses propres ailes, c'est un objet libre, écrit-il. Mais une chanson reste associée, qu'on le veuille ou non, à son auteur et à l'image de ce dernier.»

L'auteur-compositeur-interprète dit avoir toujours refusé de s'associer à un parti politique. Qu'il ait chanté au Sommet de la Francophonie pour le premier ministre français à l'invitation de Jean Charest n'y change rien (n'en déplaise aux députés libéraux qui l'ont bêtement rappelé hier pour tenter de le discréditer).

Un rassemblement politique n'a pas la même résonance ni la même signification qu'un congrès de dentistes ou qu'un pow-wow corporatif. C'est un événement partisan. À juste titre, Bruce Springsteen, dont l'inclination démocrate n'était déjà plus à faire, s'était insurgé à l'époque contre le fait que Born in the U.S.A. ait été détournée de son sens par Ronald Reagan pendant l'élection présidentielle de 1984. Le détournement fut permanent.

Plusieurs autres exemples plus récents témoignent de ce même refus d'artistes à être récupérés par des politiciens. On les comprend, comme Pierre Lapointe, d'en être irrités. M'est avis cependant que Lapointe, courroucé, exagère la portée du geste posé par les organisateurs du congrès de dimanche. Je suis loin d'être convaincu comme lui, à la lumière des différents témoignages, que Je reviendrai ait servi d'«hymne patriotique» au PLQ.

Pierre Lapointe n'est pas, du reste - pour ajouter à la comparaison avec le Boss -, perçu comme un artiste ouvertement engagé en faveur du Parti québécois, comme peuvent l'être Paul Piché ou Loco Locass, par exemple.

Peut-être que le choix de Je reviendrai (au pouvoir?) n'était pas innocent. On prétend bien sûr le contraire au PLQ. Mais ce titre n'a certainement pas été utilisé de manière emphatique ou emblématique par le Parti libéral. C'était, à en croire ceux qui étaient sur place dimanche, une chanson parmi plusieurs dizaines ayant servi à mettre un peu d'ambiance au congrès en attendant la nomination d'un nouveau chef.

Philippe Couillard a d'ailleurs été bon joueur, hier, en se disant désolé que cela puisse avoir vexé Pierre Lapointe et en l'assurant que la prochaine fois, on demanderait son autorisation. Il faut savoir que certaines salles, comme l'Auditorium de Verdun, où avait lieu le congrès libéral, détiennent une licence de la SOCAN leur permettant de diffuser les chansons d'artistes canadiens, à condition de leur verser une redevance.

Tout est question de contexte. Le PLQ avait le droit, stricto sensu, d'utiliser Je reviendrai pour faire patienter ses troupes, même sans demander l'autorisation à son auteur. Pierre Lapointe a tout à fait le droit et la légitimité morale de regretter qu'une de ses chansons soit associée à un parti politique sans son consentement.

Jusqu'où va la responsabilité éthique d'un parti politique vis-à-vis d'un artiste? Faudrait-il demander l'autorisation à tous les artistes avant de diffuser, même en toute légalité, une de leurs chansons dans un rassemblement politique? Où s'arrête le droit moral d'un artiste? Pierre Lapointe pourrait-il exiger le retrait d'une de ses chansons des ondes d'une radio dont il ne partage pas les idéaux? Bien des questions auxquelles il n'y a pas, heureusement, de réponse simple.